Cry Sugar
Hudson Mohawke
On l'avoue : nous n'attendions plus grand chose de la part d'Hudson Mohawke. Il y a deux ans, l'Écossais nous avait donné l'impression de faire son baroud d'honneur, en libérant ses unreleased dans trois disques aux qualités immenses. Puis il y a eu l'annonce en juin dernier de Cry Sugar, accompagné de ce teaser qui nous a collé quelques cauchemars. Il a donc fallu s'y résoudre : alors que la rigor mortis du wonky semblait incontestable, le natif de Glasgow a choisi de revenir à grand renfort de kicks saturés et d'arpèges épileptiques. Il allait forcément être difficile pour nous de faire l'impasse sur le retour d'un type qu'on adore profondément.
Remercions avant toute chose Danny L Harle : c'est sous l'alias DJ Mayhem que Hudson Mohwake a contribué au Harlecore de l'ancien PC Music l'an passé, grand moment de dance music décomplexée qui lui a permis de s'éloigner de cette trap testotéronée qu'il incarnait depuis le succès de TNGHT. Mais avec "Bicstan", on a compris combien cette parenthèse lui avait été bénéfique : ce titre est plus bosselé qu'un terrain de motocross et son break semble tout droit sorti d'un remix de SOPHIE par Casual Gabberz. À l'instar de son copain londonien, Hudson Mohwake semble avoir enfin compris que l'appellation de "musicien internet" n'est plus un gros mot, comme au temps de Butter : sur Cry Sugar, sa musique se réclame d'un continuum foutraque qui doit à la trap d'Atlanta autant qu'au gabber néerlandais ou à l'IDM anglaise. Ce n'est bien sûr pas nouveau : toute l’œuvre de HudMo est parcourue par cette envie d'écrire une musique maximaliste qui émule tout ce qui lui passe sous le nez. En un sens d'ailleurs, ce troisième album sonne comme une vaste suite d'accidents, une expérience dont on pourrait penser qu'elle a mal tourné si seulement le produit fini ne sonnait pas aussi léché et précis. Et aussi enivrante par le même biais.
Car Cry Sugar est la synthèse parfaite de ce que Ross Birchard sait faire de mieux, lui qui confronte des patterns de 808, des samples de soul surpitchés, des spirales acid façon Aphex Twin ou des parodies des productions Neptunes passées à la moulinette fidget - le magnifique "Bow". Tout ce qui sur le papier semble relever de la faute de goût réussit par on ne sait trop quel miracle à tenir la route sur la longueur. Si la somme de toutes ces frasques peut parfois donner le tournis ou paraître légèrement abrutissante, Cry Sugar compile suffisamment de moments de grâce pour ne laisser planer aucun doute : c'est bien dans sa diversité maladive que ce disque est le plus pertinent.
Cry Sugar convoque la beauté dans un patchwork régressif, bourrin, putassier. C'est là sa qualité première : ne pas faire dans la demi-mesure, parler aux bas instincts sans trop chercher à répondre à un quelconque cahier des charges. Plus proche de l'univers de PC Music que de celui du label Warp qui l'héberge, ce troisième disque épate par ses couleurs chatoyantes, ses cadences effrénées et cette envie de faire la fête, la vraie. Si derrière des platines HudMo n'a jamais cessé d'être un ayatollah de la culture du mash-up, c'est sur ce nouvel album qu'il réussit à toucher du doigt tout ce qui par le passé n'était resté qu'à l'état de tâtonnements. C'est ce quatrième long format qui le révèle enfin dans toute sa beauté synthétique, sa façon de pousser la machine dans ses derniers retranchements, et sa manière bien à lui de provoquer des émotions humaines, après tout.