Crawler
IDLES
Ils sont de retour. Non pas qu'IDLES était perdu à jamais, mais on avait quand même l'impression que la machine était en train de s'enrayer : leurs deux premiers albums, Brutalism et Joy as an Act of Resistance, proposaient un post-punk explosif, propulsé par un esprit politique acerbe et des riffs bien bourrus, mais jamais bourrins. Certes, le discours tendait parfois vers le cringe, mais il était supporté par de véritables hymnes comme "Danny Nedelko". Ultra Mono, par contre, ne proposait pas autant de diversité musicale que ses prédécesseurs. Pire, il poussait plus loin le curseur du progressisme politique et se complaisait dans des slogans criés au détriment d'une quelconque substance, le groupe tombant régulièrement dans l'auto-caricature - un ratage avoué à demi-mot par le groupe en interview.
Mais avec Crawler, IDLES semble revigoré et s'aventure sur de nouveaux territoires en parvenant à digérer une gamme complexe d'influences musicales. Bingo : les Anglais nous proposent leur travail à la fois le plus viscéral et le plus introspectif à ce jour. Leur puissance est intacte et utilisée à des fins plus intéressantes que sur l'album précédent : co-produit par le guitariste Mark Bowen et Kenny Beats (collaborateur de Denzel Curry ou Vince Staples, déjà présent sur un titre d'Ultra Mono), Crawler voit IDLES chambouler sa signature sonore. Certes, on retrouve toujours cette énergie de brutes illuminées, à mi-chemin entre des hooligans défoncés à la 8.6 et des anarchistes braillards, mais elle est ici exacerbée par des expérimentations payantes. On trouve la meilleure preuve de cette évolution d'entrée de jeu, quand "MT 420RR" ouvre l'album sur une intensité pesante proche du trip-hop. Hommage à la moto qui a failli tuer Talbot, cette ouverture reprend la puissance caractéristique du groupe et la triture par l'intime, laissant Talbot demander si l'on est "prêt pour la tempête" dans un crescendo dissonant. Ce premier titre est une indication de l'album à venir: IDLES, mais en différent.
Passé cette entrée en matière, vous vous demandez peut-être si le groupe a perdu l'envie d'écraser le champignon ? La réponse est non, bien sûr que non. "The Wheel" s'appuie par exemple sur une rythmique galopante typique du groupe que des "Can I get a hallelujah?" déjà prêts pour la prochaine tournée viennent briser, "When the Lights Come On" fait dans le post-punk sombre 80s à la The Cure période Disintegration, tandis que "Car Crash" est une pièce industrielle mélangeant post-punk et grime et rappelant fortement les Death Grips. Cependant, c'est lorsque le groupe s'éloigne le plus de sa formule qu'il touche à la grâce: "MT 420RR", donc, mais surtout "The Beachland Ballroom" et "Progress". Le premier titre voit Talbot échanger ses grognements punk pour un chant de crooneur mélancolique, tandis que "Progress" s'organise en une succession de paroles répétées sur fond d'electronica, mariant la période House of Balloons de The Weeknd avec le punk furieux des Anglais.
Au final, c'est quand Crawler tente de répliquer ce qui a été déjà parfait par le passé qu'il fonctionne le moins, prouvant que la direction prise est la bonne. Les expérimentations sonnent juste, et constituent des expansions naturelles de la recette originale du groupe. La barre a également été redressée pour Talbot, fortement critiqué pour sa performance fatiguée et poussive d'Ultra Mono. Ici, son écriture candide traite d'addictions et de traumatismes avec une approche plus cathartique que réellement voyeuriste - "Car Crash" demeurant l'exemple parfait. Il reste toujours des "chansons à message", mais celles-ci s'appuient sur des refrains simples - comme le "Despite it all, life is beautiful!" sur "The End" - sonnant comme d'authentiques refrains de rock et non plus comme des proutlines simili-politiques. Crawler est un disque inventif dans son approche globale et tout bonnement irrésistible dans ses meilleurs moments. IDLES s'amuse à nouveau, et ne le fait pas n'importe comment. Franchement, c'est tout ce que l'on attendait d'eux.