Cranekiss
Tamaryn
La mue est un phénomène Ô combien risqué chez un groupe indé plus habitué aux chroniques de fin de magazine qu’aux articles de une et aux Best New Music sur Pitchfork. C’est prêter le flanc à une critique quasi inévitable (le sempiternel « ils se sont vendus » ou le « c’était mieux avant ») ainsi qu’au risque lui aussi quasi inévitable de perdre une part de sa modeste mais assidue fan base qui ne se reconnaîtra pas dans des ambitions trop grandes pour son esprit étriqué et conservateur. Autrement dit, c’est comme jouer à la roulette au casino, beaucoup de risques et rarement le résultat espéré au final. C’est exactement ce que vient de tenter Tamaryn avec ce Cranekiss qui délaisse le shoegaze AOC de ses deux premiers albums pour une vision plus XXL de la brume et des volutes sonores. A partir de là, à vous de choisir, mais il serait dommage de passer à côté d’un album qui a ce petit je-ne-sais-quoi de vicieux, de racoleur, et qui va à l’encontre de nos préceptes de gardiens du temple coincés du cul.
Cranekiss fait donc partie de ces albums parfois sur le fil du rasoir du putassier, mais ne tombant jamais réellement dedans. Comme nous savons que parfois le plaisir du fruit défendu a du bon, on ne jouera pas les vierges effarouchées et les ayatollahs du dogme : on sait que ce sont parfois ces albums-là qui sont les plus intéressants. Le choix esthétique que fait la néo-zélandaise sur ce troisième album est celui dont rêvent finalement beaucoup de groupes shoegaze ou dream pop de seconde zone : celui de réaliser leur Heaven or Las Vegas à eux. Troquer la robe de bure pour un costume trois pièces et richelieus. Assumer au grand jour des ambitions que l’on n’osait pas avouer. Un choix périlleux musicalement, au-delà même des considérations morales évoquées plus haut.
Pour ce faire, il est assez révélateur que l’homme de l’ombre de la situation soit Shaun Durkan. Le leader des très bons Weekend a pour ainsi dire déjà mené la même démarche sur Jinx, le deuxième album de son propre groupe. Les choix de production se reconnaissent assez facilement entre les deux œuvres : un son tranchant, mat et ciselé, un gros usage de la compression, des chorus et surtout une utilisation presque synthétique des guitares (on notera que celles-ci sont d’ailleurs bien plus en retrait qu’auparavant au profit des claviers et des boucles), ainsi qu’une grosse mise en avant de la voix. Un son très eighties en somme, mais totalement actuel de par son harmonisation entre électronique et instrumentation plus traditionnelle, de par ses voix éthérées qui jouent aussi bien avec le chaud qu’avec le froid.
La recette fonctionnait déjà avec Weekend mais elle prend une dimension tout autre avec Tamaryn, hautement plus bankable et qui trouve ici de bien belles armes pour crever l'écran et passer aussi bien dans un magasin American Apparel que dans un défilé de mode parisien ou dans une soirée cold wave de province. Il est d’ailleurs intéressant de noter que malgré cet aspect plus radio-friendly, un autre aspect qui fait l’intelligence de Cranekiss est de continuer à assumer, malgré des aspirations aujourd’hui différentes, tout le substrat cold voire gothique initial du groupe. Ou comment fédérer en maintenant et affichant des influences venant de genres très typés et plutôt propres à un public d'une niche bien précise.