Coup de Grace

Miles Kane

Virgin EMI – 2018
par Alexis, le 24 septembre 2018
5

On donne souvent à la langue française une place de choix parmi les langues européennes les plus ingrates à maitriser. Si cela caresse notre ego de locuteur natif, on veut bien admettre que les pages d'exceptions aux règles déjà pas bien logiques ou la longue liste de lettres muettes nous invitent à la clémence lorsque nos voisins s'essayent à la langue de Francis Lalanne. Donc entendre Miles Kane transformer le refrain de "Coup de Grace", molle resucée d'une face B de Kasabian et morceau éponyme de son nouvel album, en Coup de Gras ne devrait pas déclencher de moqueries, surtout puisque c’est un hommage au catcheur Finn Balor et une prononciation assez commune outre-Manche. Mais le costume de poseur parfois insupportable qu'il endosse depuis trois ans avec son alter ego Alex Turner nous fait oublier ce contexte et rend ce plantage bien plus savoureux. Alors, après nous avoir promis un coup final, le trentenaire aurait-il un coup de mou ?

La longue liste des collaborateurs et co-auteurs qui ont tenu la plume de Kane au cours des années pourrait dresser le portrait d'un mec bien incapable de bosser seul. On parle quand même de cinq co-compositeurs, dont Paul Weller ou Ian Broudie, rien que sur Don’t Forget Who You Are, son précédent effort. Mais ce serait oublier que l'Anglais est un interprète génial, capable de sublimer de petites bombes post-punk comme des morceaux plus personnels. Coup de Grace ne fait pas exception, c'est cette fois Jamie T qui y co-signe sept chansons, avec parfois l’apport de Lana Del Rey, Zach Dawes, Loren Humphrey et Tyler Parkford, tandis que Kane y fait encore étalage de son talent et délivre plusieurs titres impeccables.

Ajoutant la diction et le hargne du Londonien à son arsenal, Kane produit du single rock à la chaîne, avec un début d'album incroyable : la meilleure chanson des Black Lips depuis dix ans sur "Too Little Too Late", les arrangements impeccables de "Loaded" portant un phrasé efficace, pour finir sur cette orgie de guitares et de cris sur "Cold Light Of The Day". Sans atteindre la qualité du dernier Arctic Monkeys, la production souligne les qualités du Briton, offrant même un ton plus sombre qu’à l’accoutumée sur "Loaded". Sur quinze minutes, il est évident que quand il y met l'intensité et l'envie nécessaires, Kane domine aisément ce rock jeu.

C’est là que la bât blesse, Kane manque terriblement de finesse lorsqu’il cherche à tout prix à taper dans le morceau de stade. Il n’y a aucun mal à chercher la formule pop qui émoustillera des foules si possible gigantesques, mais Coup de Grace manque de subtilité sur ces changements de rythme. Ainsi le refrain de "Killing the Joke" devient un grossier hymne pour sortir les briquets, tandis que "Coup De Grace" ne décolle jamais vraiment dans un mimétisme quasi parodique de Tom Meighan et Serge Pizzorno. Mais c’est lorsqu’il enfile à nouveau son habit de crooner que Kane devient vraiment irritant. Ainsi le conclusif "Shavambacu" reprend les codes du dernier album des Last Shadow Puppets, sans les merveilles de production qui pouvait le rendre appréciable, ni les qualités d’écriture de son BFF.

Jonglant entre pépites rock et manque d'exigence criant, ce Coup De Grace ajoute un autre bon album aux accomplissements de Kane, et devrait lui permettre de remplir des salles, sans toutefois nous combler entièrement. L'Anglais nous avait peut-être promis plus, ou peut-être attendions nous trop d'un artiste qui a toujours été vendu comme The Next Big Thing. Miles Kane n'a pas encore produit le grand album que son talent mérite, mais tant que ses qualités éclateront si brillamment par intermittence, on continuera à y croire un peu.