Coton Blanc Argent Sale
Jeune LC

Dire que Jeune LC parle de Paris dans ses textes est un euphémisme : l’intégralité de son rap est dédiée à cette ville, plus précisément à Paris Nord, polygone fait des 10/17/18/19e arrondissements. Si la carte ne sera jamais le territoire, Mehdi El Attar arrive pourtant à parfaitement illustrer ces quartiers, de ses coupes de cheveux à Strasbourg Saint Denis aux bars kabyles en passant par les raviolis de Belleville, tout ça en évoquant constamment la revente de substances illégales. Un rap hyper-territorial et monomaniaque, qui suffisait pourtant à faire de lui une superbe promesse du rap parisien aux côtés du collectif Bon Gamin, et, osons le dire, un de nos rappeurs préférés. Mais s’il est "né en 84, rappe depuis 96", le Jeune n’avait encore jamais sorti d’album, préférant uploader puis supprimer ses morceaux sur Soundcloud, compilant à peine une partie de ses sorties dans l’Anthologie Haussmannienne 2013 - 2017. Et tout à coup Jeune LC s’est mis a sortir de nouveaux morceaux, a même réalisé des clips plutôt que de s’auto-saboter, et a enfin annoncé Coton blanc Argent Sale, son premier album à quasiment 40 ans.
"Je sortirai pas un disque pour qu’il reste dans les bacs" rappait-il sur "Bon Gamin", et Jeune LC a clairement fait les choses bien. Biberonné aux références hip hop au point d’importer le crunk en France à une époque, Mehdi El Attar ne peut s’empêcher de multiplier les influences, qu’elles soient américaines ou françaises, et chaque morceau sonne comme une formidable lettre d’amour à ce rap des années 2000 pensé comme de grandes tables conviviales et chargées de plats à partager. Oui, Jeune LC fait croquer tous ses potes et notamment les membres de Bon Gamin, et le disque sonne régulièrement comme un grand moment de complicité entre rappeurs parisiens / proches du Jeune. Tout cela n’empêche bien sûr pas Mehdi de continuer à rapper en solo, avec au passage certains des morceaux les plus tubesques de sa carrière et notamment "Dans le 10", véritable hymne à la ride sur les berges du canal Saint Martin. On parlait dans ces pages de Jeune LC comme du plus beau fantôme du rap parisien, et ce Coton Blanc Argent Sale semble avant tout vouloir concrétiser toutes les attentes qu’on pouvait placer dans son "réalité rap" en incarnant enfin sa musique autrement que dans quelques rares textes éparpillés sur Internet.
De quoi peut-on donc parler Jeune LC sur 14 morceaux ? De Paris évidemment, le sujet étant amené dès la deuxième ligne de l’album. De revente de drogues forcément, mais pas que. D’un jeune dealer de drogue qui n’était pas sûr de vivre assez longtemps pour voir l’année d’après sur "Fin d'été" et se battait constamment contre ses addictions, Mehdi El Attar a mué en quasi-quarantenaire beaucoup plus paisible, simplement "content de vivre un nouveau jour". Plus question de parler constamment d’alcool, plutôt de faire du sport et surtout de passer du temps avec la femme qu’il aime. Là où le Jeune connaissait "beaucoup trop de pétasses dans chaque arrondissement" et multipliait les aventures, le Parisien évoque aujourd’hui ouvertement le grand amour et même son désir de paternité et sa conviction de pouvoir être un bon père. Les femmes étaient déjà certes le sujet de quelques morceaux plus doux dans sa discographie ("Elle", "Good Love"), mais Jeune LC est sur ce premier album constant dans la positivité et le désir d’être un homme bon. Il n’est plus question de fuir, de constamment s’évader dans les substances, de supprimer son passé puis de repartir d’une page blanche, et c’est toujours accompagné par quelques démons ("j’ai jamais été heureux que je me souvienne") mais bien plus que serein le Parisien clôt l’album.
Et si ce Coton Blanc Argent Sale sonne parfois un brin scolaire, comme s’il fallait cocher toutes les cases du premier album, et n’a pas nécessairement la spontanéité de l’Anthologie Haussmannienne, quel plaisir que de pouvoir l’entendre chantonner un peu faux sur "Coton Blanc", dans une sorte de victory lap face au destin. Toujours Jeune.