Controlling Crowds
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Le thème de la surveillance généralisée et du contrôle des masses, en plus d'être singulièrement d'actualité avec le développement de techniques de promotion et de communication de plus en plus intrusives, a souvent inspiré avec bonheur les groupes de rock anglais, qui ont su en tirer des œuvres importantes, comme Radiohead et son indispensable OK Computer, ouvertement inspiré par le génial et visionnaire roman 1984 de George Orwell, David Bowie et Diamond Dogs, qui contient notamment, d'ailleurs, outre "Rebel Rebel", un morceau expressément intitulé "1984", voire John Lennon, qui, dans "Only People", n'hésitait pas à refuser la domination d'un Big Brother ("We don't want no Big Brother"). Aujourd'hui, ce sont aux Londoniens d'Archive de nous faire partager avec un talent certain leur interprétation de cette thématique au travers d'un sixième album, Controlling Crowds, particulièrement attendu vu le quasi silence du groupe depuis trois ans.
Jouissant d'une belle aura en France, où ses disques atteignent généralement de bons scores de ventes, le groupe de Darius Keeler et Daniel Griffiths s'est spécialisé depuis quelques années dans un rock électronique et progressif, souvent comparé, peut-être abusivement, à certains morceaux de Pink Floyd pour leur aspect hypnotique et parfois exagérément étiré en longueur. Pourtant, la formation s'est fait connaître en 1996 avec Londinium, encore aujourd'hui considéré comme l'une des œuvres majeures du trip hop aux côtés du Dummy de Portishead et du Mezzanine de Massive Attack. C'est donc avec une surprise mesurée que l'on constate, près de quinze ans après la création du groupe, que Keeler et Griffiths opèrent aujourd'hui une sorte de retour en arrière, marqué notamment par la réapparition du rappeur Rosko John sur certains titres, sans toutefois renier les aventures électroniques des ces albums très réussis que furent respectivement Noise et Lights en 2004 et 2006. Cette fois encore, le groupe a sollicité l'aide du producteur français, Jérôme Devoise, déjà à l'œuvre sur la bande originale du film Michel Vaillant en 2003.
Le morceau d'ouverture, "Controlling Crowds", est ainsi caractéristique de cette synthèse voulue par les deux têtes pensantes, puisque, alors que le titre atteint les 10 minutes, comme, par exemple, "Lights" et "Waste" en leur temps, le chant de Pollard Berrier et les rythmiques martiales renouent avec le son de Londinium, agrémenté cette fois de nappes synthétiques qui confèrent à l'ensemble une saveur très particulière, comme un savoureux mélange chaud froid, densifié par des paroles relativement mystérieuses et, comme toujours, particulièrement sombres. Il est vrai que le groupe n'est pas connu pour sa joie et ses hymnes bondissants, ce dont témoigne également "Dangervisit", l'un des titres les plus réussis du disque grâce notamment à ses paroles assez géniales ("Feel, trust, obey"), ou encore "Collapse/Collide".
Divisé en trois parties, atteignant presque les 80 minutes, Controlling Crowds est un disque complexe, dense, à personnalités multiples, où s'entrecroisent les fantômes des disques précédents au gré de l'intervention des différents chanteurs (Berrier, David Pen, Maria Q, Rosko John), qui confèrent à chacun des morceaux une tonalité particulière, voire une texture spécifique. Le risque, avec ce genre d'album qui se prend très au sérieux, réside dans une certaine immodestie qui pourrait parfois prêter à sourire si le groupe n'était pas aussi talentueux et capable de produire des morceaux franchement excellents ("Kings of Speed"), provoquant ici ou là un bonheur épidermique majeur ("Whore", assez proche de ce qu'avait réussi Archive avec le très sous-estimé Take My Head en 1999) qu'il pourrait bien rééditer dès l'an prochain avec la sortie d'une quatrième partie, d'ores et déjà prévue.