Contrepoint
Nicolas Godin
Loin des sphères qu'on évoque souvent dans nos pages bouillonne un débat qui dure depuis quelques siècles déjà : le contrepoint est-il un style musical ou non ? La réponse n'est pas dans cet article, désolé.
Après, un peu de culture générale n'a jamais fait de mal à personne. Élément fondateur de l'harmonie dans la musique occidentale, le contrepoint était considéré par Jean-Sébastien Bach comme une manière de concevoir et de composer la musique. On ne parle donc pas vraiment d'un style musical mais plutôt d'une façon de procéder qui garantit à la musique une valeur esthétique. Ces principes qui dictaient ladite valeur ont longtemps été considérés comme les seuls valables et donc, jusqu'au 17ème siècle, apprendre la musique revenait à apprendre à composer en contrepoint. C'est précisément à cet endroit que le débat fait rage puisque si on compose d'une seule façon, on compose une seule musique, non ?
Mais pourquoi raconter tout ça ? Premièrement, pour frimer grave en société, bien sûr. Et puis surtout pour en venir à l'album de Nicolas Godin. Inspiré par un documentaire de Bruno Monsaingeon sur Glenn Gould rejouant les "Variations Goldberg" de Bach, Godin a senti monter en lui une volonté de rejouer ces pièces qui l'ont touché. En interview chez nos confrères de Gonzaï il y a peu, l'artiste se confiait: "J'en avais marre de tâtonner, je voulais comprendre ce que j'aimais dans la musique, comment et pourquoi elle fonctionne si bien. Avant je ressentais les choses et je faisais au feeling, j'avais vraiment envie de comprendre les choses de l'intérieur." Confession honnête d'un mec qui a tout de même composé les albums Moon Safari ou Talkie Walkie et quelques B.O. de toute première bourre (Virgin Suicides en tête) avec son confrère Jean-Benoît Dunckel au sein de Air.
Le résultat de cette réflexion évoquée dans le paragraphe précédent, c'est donc l'album Contrepoint, soit une plaque conceptuelle où chaque piste trouve son inspiration chez le génial allemand. Le sauvetage de Nicolas Godin par Glenn Gould, Steve Reich et consorts en quelque sorte ; sur un disque qui s'offre des allers-retours entre les genres - pop, le jazz, bossa-nova... le voyage est permanent. Et puis, vu qu'on ne se réinvente jamais complètement, on retrouve ces teintes de clavier qui ont fait les beaux jours du duo français.
Sur papier, ça ressemble à une mauvaise compilation, on est bien d'accord. On convient aussi que l'exercice est périlleux, mais en fait l'album est rempli de clins d'œil plutôt bien exécutés (encore faut-il pouvoir les comprendre). "Club Nine" puise dans le monumental "Take Five" de Dave Brubeck et "Elfe Man" explore l'univers du compositeur fétiche de Tim Burton, tandis que pour "Bach Off" ou pour "Glenn", l'hommage réside plutôt dans le titre que de la composition singulière proposée. Du beau monde s'invite aussi derrière le micro, puisque le chanteur de Phoenix prend le micro sur la réinterprétation de la cantate de Bach "Widerstehe doc der Sünde", Glenn Gould s'exprime à titre posthume sur le morceau "Glenn" en nous parlant des technologies d'enregistrement tandis que le chanteur de Los Hermanos vient pousser la chansonnette sur "Clara".
Composer ce genre d'album en s'appuyant sur ce genre de démarche, c'est permis quand on a le background du Versaillais. Après, il y a fort à parier que les amateurs de Air seront plus nombreux à se reconnaître dans cette musique que ceux de Bach ou de Glenn Gould, à supposer qu'ils mettent un jour la main sur cet ouvrage. Reste que Nicolas Godin réussit un travail d'appropriation du son relativement surprenant, propre à l'esthétique qu'il a toujours défendu au sein de Air. Et puisqu'il n'est jamais à court d'idées, Nicolas Godin reviendra prochainement avec Architecton, un projet qui mêle la mise en valeur de l'architecture par la musique et inversement. On s'comprend ?