contrebande 02. le disque de l'été
Flavien Berger
S’il y a bien quelque chose qui ne risque pas d’arriver, c’est qu’un disque de Flavien Berger soit considéré unanimement comme un disque de l’été. Résultat d’une musique qui, entre la pop, la chanson et la house, ose oser, en commençant par un geste aussi logique qu’il ne semble paradoxal, à savoir la démystification de son travail d’artiste. La blague du disque de l’été, qui était déjà celle du disque de Noël en 2015 avec contrebande 01. le disque de Noël, c’est la blague de quelqu’un qui préfère d’abord poser sur la table du contrat qu’il passe avec le public un droit de démonstration des tentatives, qui retourne la peau de ses disques « plus produits » sur leurs squelettes en même temps qu’il se glisse dans une tradition artistique qui se fait pourtant rare en musique : l’apposition des brouillons à l’œuvre.
C’est ce dont il parlait au micro d’Arnaud Laporte quand il évoquait sa difficulté à conserver une activité plastique digne de ses envies, mais la facilité – voire la nécessité – avec laquelle il conservait une activité de carnet. Et si en peinture ou en sculpture, les esquisses ont une valeur certaine depuis la fin du romantisme et le monopole conceptuel de l’idée du « génie », en musique, c’est une toute autre affaire. Depuis que Nietzsche tentait d’alerter sur l’importance d’aller consulter les brouillons de Beethoven pour comprendre le sens des œuvres, la tradition européenne, même pour ce qu’on appelle « variété », reste un peu figée quand il s’agit de dévoiler les détails matériels du processus de création. Pour Flavien Berger, et ce depuis le premier disque, c’est pourtant une évidence.
« Ces albums sortent un an après les albums un peu plus importants. Ça veut sans doute dire qu'ils ont été faits pendant le disque. En contrebande, en secret, 'en soum-soum'. Et ce sont souvent des morceaux qui n'avaient pas la place d'être dans le disque, mais qui ne sont pas pour autant des phases B. » On irait même voir jusqu’à voir une différence entre le premier volet de ces musiques de bandit et ce fameux disque de l’été : si contrebande 01. a tout de l’ensemble de pistes que l’on rajoute sur les éditions deluxe ou anniversaire des albums à succès, contrebande 02., et même radio contre-temps avant lui, sont des propositions qui, comme les carnets des peintres, s’écartent de l’anthologie de sous-morceaux.
Ce sont clairement des espaces d’expérimentations pour Flavien Berger : dans sa promo, il a plusieurs fois mentionné « sapon » comme un titre très autobiographique et premier degré, en rupture avec son personnage de surfeur malhabile de l’existence. Il s’y fait apparaître intense et concerné, même lorsque ça concerne des choses a priori futiles, comme le génial « beta », simple hommage au légume oublié qu’est la betterave. Cette simplicité est celle qui ressort aussi, en plus du format carnet de ces disques, d’un espace de tranquillité dans lequel les évidences musicales reviennent. On y retrouve par exemple son goût prononcé pour le trip-hop et le dub, pas toujours évident en album, mais très explicite ici.
Ces « brouillons sérieux » comme espaces d’expérimentation, c’est également ce qui fait le lien pour nous, le public, entre les disques surtamisés que sont ceux de la trilogie « -ans » et le live : musiques électroniques, dub ou trip-hop comme on l’a dit, mais également une passion pour le collage sonore et des tracks plus atmosphériques, sont autant d’éléments qui se rejoignent à plusieurs moments de son set actuellement en tournée, et qui donnent du sens à un artiste en pleine mutation.
Ce n’est pas la même chose d’avoir un dossier rempli de bouts de morceaux, d’essais infructueux et autres dérives d’un moment, et d’avoir des éléments qu’on peut rassembler dans un disque et le présenter à un public. Dans l’intention de partage déjà, mais également dans le fait que cela permet de considérer ces productions comme ayant une certaine complétude en soi, dans leur statut de tentative. Et pour un artiste comme Flavien Berger, qui vient de boucler une période importante de sa discographie, et s’est déjà orienté vers d’autres formules comme la bande originale pour le cinéma, la publication des carnets, c’est tout simplement essentiel.