Congratulations
MGMT
Bouche déformée par l'alcool, regard bovin, odeur de vomi séché, le bourré moyen de féria n'est pas un tendre. Et quand il se met à chanter, c'est ou bien du paillard, ou bien "Seven Nation Army" des White Stripes. Oui, "Seven Nation Army". Quel destin impensable pour un titre garage aussi arty ! Le succès prévisionnel de ce morceau allait à peine plus loin que les milieux les plus ciblés ou privilégiés de l'indie-rock, et voilà que l'on se retrouve avec un favori des soirées Ricard, une chanson à boire qu'on bruite à base de lala ou de popo. Si ce cas de transformisme culturel est d'une incomparable intensité, il pourrait bien en exister quelques rejetons potentiels avec les "Kids" ou "Time To Pretend" d'MGMT. Même s'ils ne prennent pas le chemin d'hymnes de courses à la vachette, ces titres-là, leur succès et ce qui en a été fait n'en demeurent pas moins assez fous. Et finalement assez anachroniques. On a tôt fait de considérer MGMT comme les Queen de l'électro-pop, comme le groupe phare des jeunes générations blanches upper class, avec un trip autour de l'ivresse de liberté, de l'hédonisme gossip et du non-sens adolescent. Oui, il y a de ça, quand on a une lecture un peu superficielle de leur carrière, car à y regarder de plus près, la réalité est à nuancer fortement. Et c'est précisément ce que Congratulations vient nous confirmer.
Leurs titres les plus tapageurs et célèbres, Ben Goldwasser et Andrew VanWyngarden les ont en fait sortis pour la première fois en 2004 et 2005, quand ils faisaient de la musique pour rigoler et qu'ils étaient un college band parmi cent autres. Bien avant donc leur signature chez Columbia et le rouleau compresseur médiatique qui suivit. À cette époque, les MGMT étaient des boutonneux insatisfaits et inconstants, incapables de savoir quelle musique jouer. Il suffit d'écouter leur méconnu premier album – Climbing to New Lows – pour réaliser à quel point ils se cherchaient encore. Et grand paradoxe, c'est quand le succès pointa le bout de son nez que les deux stars naissantes ont choisi leur voie, celle du rock indépendant, soit l'inverse de leurs tubes. Rétrospectivement, le choix pour Oracular Spectacular de Dave Fridmann à la production (Mercury Rev, The Flaming Lips, The Delgados...) était annonciateur : leur came c'était ça, la pop psychédélique, pas l'electro-rock rétro-futuriste. Par conséquent, au moment de la sortie de ce best-seller, MGMT n'était déjà plus dans le délire "Kids" ; ils avaient la tête ailleurs, comme dans les morceaux d'ornement les moins connus d'Oracular Spectacular – "Future Reflections", "4th Dimensional Transition" etc.
Tout cela pour aboutir à la conclusion que, finalement, si l'on avait été plus attentifs, Congratulations n'aurait pas été une telle surprise. Un album sans tube ! Sans électronique ! Un simple disque de pop un peu barré ! Sans fantasme de grandeur ! Congratulations est pour faire simple un disque qui fait rentrer MGMT dans le rang. Ils reviennent dans le giron des Flaming Lips, comme petits frères prometteurs et un peu timides. Congratulations est un disque léger, qui prend même le risque d'être neutre. Il y a des cassures rythmiques, des structures un peu déformées, mais les jolies mélodies surplombent et les arrangements demeurent sages. La première écoute est à ce titre ahurissante : alors qu'on s'attendait à en entendre des montagnes, MGMT nous offre du minuscule, des chansons humbles et discrètes, du bonheur dans le détail et pas dans l'exhibition. "Siberian Breaks" aurait par exemple pu être la frasque mégalo de l'album, avec ses douze minutes au compteur, mais à la place on a droit à une longue pop song onirique et franchement émouvante. Congratulations alterne ainsi énergie et tendresse avec une mesure étonnante, avec un psychédélisme tout en retenue. Comme les meilleurs disques, encore une fois, des Flaming Lips – pour qui le clin d'œil est évident dans "Lady Dada's Nightmare".
MGMT a en somme toutes les clés en main pour s'écrouler économiquement, mais ils y gagnent au change respect et tendresse – quelle chance ! En s'inscrivant dans la tradition belle et noble de la pop sous acide, ils perdent sans doute tout espoir de devenir les nouveaux U2. Et signe avant-coureur s'il en est, à la fin de l'album, pour conclure, ce n'est pas un stade entier qui les acclame, juste quelques mains frappées d'affection. Mais l'intimité est plus troublante, plus engageante aussi. Et c'est là que nous préfèrerions retrouver les MGMT pour longtemps.