Concrete And Glass
Nicolas Godin
La musique de Nicolas Godin a toujours été froide. On l’oublie un peu car le propos de Air était avant tout celui de la sensualité. Sauf que cet « amour à la française », ça n’était pas n’importe lequel. C’était un amour toujours vécu de loin, les yeux mi-clos, derrière ce vocoder et ces claviers parfumés. C’est lorsqu’il est parti en solo qu’on a vraiment pu apprécier à quel point Nicolas Godin était l’ambassadeur du charme discret de la bourgeoisie – ce dont on se doutait bien. Ce n’est presque plus l’amour lui-même qui semblait l’intéresser, mais l’amour de cette même discrétion.
Exit la pop, et bonjour Jean-Sébastien Bach. Étonnant ? Pas du tout. Bach est probablement l’archétype musical parfait pour Nicolas Godin. Cette même froideur, cette même technique et cette horizontalité mises au service d’une douceur et d’une timidité qui laissent transparaître la sensibilité de l’artiste. Bach a remis le piano en « ordre », mais c’était pour mieux y installer cette légère tension vis-à-vis du chaos. Et preuve que dans chaque disque de Nicolas Godin on a bien affaire à quelque chose qui lui appartient et qui le définit, il n’est pas question que de musique ici. C’est bien l’art tout entier qui le questionne sur la platitude de l’existence ou l’homogénéité des contours de nos émotions.
Alors de quoi est-il question dans Concrete And Glass ? Plus véritablement de ce que les sons font à nos émotions, mais bien de ce qu’inspirent les formes des lieux de vie. Mais attention, ce n’est pas un disque souhaitant interroger le concept de familiarité à l’espace ou d’organisation de nos rapports au quotidien. Le dernier Nicolas Godin est une œuvre sur l’idée d’œuvre, chantant les détails des textures d’une architecture moderne et paradoxale, aussi froide que sa musique et touchante que sa fragilité.
Cette architecture, ce n’est donc pas n’importe laquelle : c’est celle du minimalisme et du brutalisme, deux courants qui se complètent entre les années 1950 et 1980. C’est l’époque du béton et du fer, comme il le chante dans le morceau-titre, inspiré par Le Corbusier et Mies Van Der Rohe, celle des immenses blocs que les architectes aimaient à suspendre en bord de mer afin de faire émerger des contrastes sans précédent. C’est aussi l’époque de la répétition de motif, formant une architecture capable de se confondre avec la musique d’un Steve Reich ou d’un Terry Riley. Cette répétition, on l’entendra – uniquement comme référence – dans des morceaux comme le très explicite « Cité Radieuse », composé en hommage au quartier construit par Le Corbusier à Marseille.
Au bout de quelques écoutes, on peut alors se plaire à fouiller son moteur de recherche comme un magazine d’art, en quête d’images d’incroyables domaines de béton, et de retrouver sur le lisse de leurs pans la douce accroche des morceaux du disque. Et derrière un album apparemment plutôt homogène, on découvre l’espace minutieux dans lequel l’artiste se découvre une certaine liberté. Loin du sentiment oppressant de solitude, le retour à ces espaces fonctionne comme une thérapie, capable de construire du dehors, par les murs qu’il habite, l’identité du poète en son sein.
Nicolas Godin est un esthète, un amoureux de la forme qui trouve son plaisir du côté de la sensibilité plus que de son intellectualisation. Alors certes, Concrete And Glass n’est pas un disque pris dans le flux d’une époque, c’est un disque d’exploration, d’introspection, et une œuvre capable de fusionner les frontières du corps et des meubles, pour autant qu’on ait le goût pour les replis invisibles des salons transparents, ces jeunes descendants des jardins royaux.