Commissaire Moulin et autres scènes de crime
François De Roubaix
1975. François De Roubaix s'envole pour les Canaries et Tenerife afin d'y assouvir sa grande passion des fonds marins. Juste avant son départ, le compositeur laisse aux producteurs du feuilleton Commissaire Moulin une bande qui deviendra bientôt le générique de l'inusable série policière de TF1. Malheureusement, au large des îles espagnoles, l'Atlantique sera sans pitié et le plongeur ne remontera jamais de son exploration sous-marine. Cruel destin que de se voir emporter par l'océan qu'il vénérait par dessus tout et qui inspira autant sa vie que son art. Les 4 variations du thème du Commissaire Moulin resteront donc le point final d'une riche mais bien trop courte carrière.
Couronné d'un César posthume quelques mois plus tard pour la bande originale du Vieux Fusil, François de Roubaix a aujourd'hui atteint un statut d'artiste culte. Parce qu'il est mort jeune, qu'il était beau, extrêmement inspiré, novateur et talentueux et qu'il incarnait la liberté artistique. Précurseur de ce qu'on appelle aujourd'hui le Home Studio, De Roubaix vivait en effet dans son appartement de la rue de Courcelles entouré de tous ses instruments. Il composait et enregistrait ainsi chez lui au gré de son inspiration. Il était également libre d'expérimenter, de donner vie à ses curieuses machines, ses synthétiseurs futuristes et ses instruments exotiques ramenés de ses nombreux voyages.
Lui et sa musique incarnent également une époque bénie du Cinéma français où régnaient alors le charme d'Alain Delon, le tac tac badaboum de Jean-Paul Belmondo, la classe de Lino Ventura et les pitreries de Pierre Richard, autant de Grandes Gueules qui donneront leurs lettres de noblesse aux films noirs et d'action de même qu'aux comédies populaires des années 60 et 70. On doit notamment à De Roubaix durant cette période les musiques du Samouraï de Jean-Pierre Melville, de la Scoumoune de José Giovanni et des Aventuriers de Robert Enrico. Dans les années 90 et suivantes, c'est au sampling et aux nez avisés de certains producteurs de hip-hop que l'on devra la (re)découverte d'autres perles du répertoire de François De Roubaix (Dernier Domicile Connu, Les Dunes d'Ostende, Jeff, Adieu l'Ami...). Un talent, une liberté, une incarnation, voilà pourquoi l'homme et son œuvre fascinent tant aujourd'hui.
Reste qu'à ce jour et pour notre plus grand plaisir, de nombreuses partitions inédites de François De Roubaix dorment encore dans le grenier familial. C'est en effet peu dire que le compositeur était prolifique entre ses illustrations pour la télévision, le cinéma (courts et longs métrages), les documentaires, les films publicitaires et vidéos d'entreprises... C'est au label belge WéMè que revient le privilège depuis quelques années déjà d'exhumer et de faire revivre ces riches archives. Après la compilation Courts Métrages et l'extraordinaire l'Antarctique, c'est désormais ce Commissaire Moulin et Autres Scènes de Crimes qui va longtemps résonner dans nos oreilles. De l'aveu même du fondateur de Wémè, hormis les déclinaisons du thème du Commissaire Moulin, il est difficile de dater précisément les autres morceaux de cette compilation d'inédits. Le fil conducteur de ce disque tient simplement dans le fait que toutes ces compositions l'ont été pour des téléfilms, documentaires ou courts métrages policiers. Et ça s'entend.
Le thème du Commissaire Moulin d'abord est assez fidèle à ce que De Roubaix faisait à cette époque avec ses petits effets électroniques bien sentis au milieu d'un florilège de synthétiseurs donnant leur meilleur pour illustrer un suspense policier (on retiendra surtout le générique de fin qui en est le parfait résumé). Pour la suite, ce sont principalement les instruments électroniques qui maintiennent la tension tout au long du disque comme sur les aériens "Fête Loulou Essai Flash Back Prison" avec ses inquiétantes nappes de synthés et "Ballot M6 Kaiser" mais surtout sur l'expérimental et cacophonique (au sens noble) "Aquarium Rythmiques" totalement barré. Du suspense donc mais aussi de l'action avec le martial et morriconien "Violence" ainsi que le schizophrénique "Femme Au Carré Ballet 1" tantôt très rythmé, tantôt plus léger. C'est enfin quand l'électronique laisse place à l'acoustique que la pression retombe un peu et on se laisse volontiers bercer par les ambiances plus intimes de "Bottes 7 Lieues M1" ou "Femme Au Carré Ballet 2".
Le tout ne souffre d'aucun temps mort. Au contraire, ces 17 pistes passent presque trop vite et la cohésion entre tous ces morceaux à géométrie variable est parfaite. L'ensemble se tient idéalement comme s'il s'agissait de la bande originale d'un seul et même film. C'est remarquable tant sur le fond que la forme. Vivement la suite.