Comme une histoire / Sans Paroles
Vincent Delerm
Ah Vincent Delerm ! Nous avons bien conscience que beaucoup d’amateurs et d'amatrices de chansons françaises se sont arrêté·es aux premiers albums, où sa voix chevrotante et ses intonations très Bardot éculaient les clichés de bobos parisiens sur des rengaines de piano enjouées. Pourtant, pour peu qu’on ait suivi la suite de sa carrière – multiple : chanson, musique de film, photographie, documentaire – on aura détecté le fil rouge qui en fait un artiste à part de ce qu’on a appelé la nouvelle scène française : une recherche constante d’authenticité.
Car si une chanson est le lieu de tous les possibles pour beaucoup d’auteurs·rices, Delerm préfère les variations autour de sa propre vie et les ancre clairement dans le réel. C’est parfois un peu maladroit à ses débuts avec ce name-dropping incessant, la précision des villes et des rues ou lors de mises en scène de son personnage (« Alors Vincent, quand est-ce que vous ne faites un disque ? » de "Tes parents"). C’est beaucoup plus réussi quand, tel Edouard Levé dans Autoportrait, il enchaîne les descriptions de lui sans lien apparent pour dessiner un portrait magnifique dans "Le garçon" qui concluait À présent en 2016, sans doute son album le plus personnel.
Pour célébrer ses 20 ans de carrière, Delerm poursuit son travail autobiographique en sortant un double album riche de 55 plages. Dans Comme une histoire, le chanteur ne nous propose pas moins qu’un documentaire musical. Après une introduction de Fanny Ardant (évidemment) et "L’attrape-cœurs", chanson bilan particulièrement réussie, le disque nous plonge dans deux décennies de la vie de l’artiste. À coup de titres inédits, d’extraits d’interviews, d’enregistrements live et à l’aide de ses complices de toujours (citons Albin de la Simone, Alain Souchon, Peter Van Poehl) il revient avec beaucoup d'humour et d’émotion sur les chansons, les concerts, les rencontres qui ont bouleversé sa vie.
Dans Sans Paroles, il prend le contre-pied de Comme une histoire (plutôt bavard du coup) et reprend 20 titres de son répertoire en version instrumentale au piano. En les débarrassant de sa voix (leur point faible) et de leurs mots (leur point fort) et en les habillant dans leur plus simple appareil, il redonne à ses compositions leur puissance mélodique empreinte de mélancolie. Impossible dès lors de ne pas être touché, notamment sur les chansons charnières de sa carrière "Les filles de 1973 ont trente ans", "A présent" ou sur ses plus belles réussites comme "Le Film" ou "Deauville sans Trintignant" qui prend encore une autre dimension depuis la disparition du monstre sacré.
Alors oui Vincent Delerm se regarde beaucoup le nombril et sans doute que ce double album s’adresse en grande partie à ses admirateur·rices… mais pour eux·elles, quel cadeau ! Parce qu’avec Comme une histoire, il leur livre le making-of de sa carrière. Mais surtout parce qu’avec Sans Paroles, il leur offre la bande-son de leurs propres vies, au cours desquelles ses chansons sont venues accompagner les joies, les peines et les souvenirs. Et dans les choses belles et inexplicables qu'il nous reste encore, la relation entre un·e artiste et son public garde une place de choix dans nos cœurs.