Cœur
Clara Luciani
Ah, ce second album ! Peut-être le plus difficile ? Celui qui a la lourde tâche de succéder à l’œuvre originelle ; celle qu’on a sortie de ses tripes, poncée au fil des années et dans laquelle on a projeté ses rêves de réussite et ses angoisses d’échecs. Alors quand vous vous appelez Clara Luciani et que votre Sainte-Victoire s’est vendu à 300.000 exemplaires, on peut facilement imaginer que l’attente du public et de l’industrie a dû déclencher son lot de pressions et de doutes.
Autant être honnêtes, la communication autour de la sortie de Cœur n’avait rien pour nous séduire. Cette pochette dégueulasse, cette volonté affichée de couvrir 2021 de paillettes (sic), ces références à ABBA et ce poncif de sortir un album dansant pour conjurer une année sans fêtes ni chaleur humaine semblaient plus tenir d’un cache-misère pour justifier un album écrit un peu trop vite et habillé façon disco pour faire passer la pilule.
Dubitatifs, nous avons donc lancé le disque et découvert "Cœur", plage d’ouverture éponyme qui démarre par un chœur (évidemment) énigmatique avant de laisser place à une basse qui emporte tout sur son passage, bien aidée par un clavier rétro du meilleur goût. En 45 secondes, on retrouve tout ce qui fait Clara Luciani : un sens du rythme à toute épreuve, un chant volontaire mais sensuel et des paroles qui semblent tenir à la fois de la bienveillance et de la conjuration : "L’amour ne cogne que le cœur et ne laisse jamais personne te faire croire le contraire", plus loin et plus haut "L’amour n’a jamais tué personne et les seuls coups que l’amour pardonne sont les coups de foudre". Ou comment parler des violences conjugales avec précision et humanité sur une musique qui donne la banane.
On ne devrait pas vous le dire mais quand on ouvre un disque avec ce genre de fulgurances, on fait une bonne partie du travail dans le cœur d’un auditeur. Heureusement la suite de l’album tient la route avec le single "Le reste" qui remplira bien son rôle de locomotive durant l’été, puis surtout avec "Le Chanteur" et "Tout le monde sauf toi" qui convoquent l’élégance et la malice d’un Michel Berger, d’une Véronique Sanson ou d’une France Gall. L’album est ainsi jalonné de titres bien écrits, bien rythmés et bien produits, l’ex-membre de La Femme s’étant judicieusement entourée de Sage, Breakbot et Pierrick Devin dans la création du disque. Côté points faibles, notons un "J’sais pas plaire" un peu lourdingue et un "Sad & Slow" assez logiquement oubliable puisqu'enregistré en duo avec Julien Doré (ce dernier étant à la chanson ce que la Corona est à la bière, jamais désagréable mais sans grande saveur).
Grace à une grande chanson et à une foule de morceaux efficaces, Cœur est donc un second album réussi mais qu’on aurait tort de réduire à son côté disco. Il doit moins à ABBA qui n’a jamais réussi à sortir de ce carcan qu’aux grands de la chanson française qui se sont effectivement essayés à une époque aux basses funk, aux violons puissants et aux synthé dansants et à côté desquels Clara Luciani continue de se frayer une place avec brio.