Clearwater
They Hate Change
Elle a quelque chose, cette nouvelle génération du rap alternatif. Quelque chose de concis, quelque chose de beau, quelque chose de l'envie de construire des albums qui sont de petits trésors qu'on sort de sa poche, à l'abri des regards, pour les contempler. Cette génération, celle des Earl Sweatshirt, des Mach-Hommy, des MIKE, elle s'habille d'une discrétion qui, plus encore que d'entrer en contraste avec les codes du « explicit content », entre en conflit avec l'absurdité d'un monde qu'on préfère prendre à rebours.
Parmi les artistes à suivre dans cette liste qui reste à remplir, les mecs de They Hate Change pourraient bien mériter une place plus importante que celle que leur exposition leur confère. Le duo floridien ne fait clairement pas exploser les réseaux sociaux et on doute que cela change dans les années à venir, bien qu'ils fassent désormais partie de Deathbomb Arc, l'écurie la plus punk du rap. Pourtant, il y a quelque chose de particulièrement bien senti dans leur production, et dans leur façon de prendre en main ce concept si particulier du « rap alternatif ».
Se présentant parfois comme un duo de rap expérimental, Andre et Vonne assument complètement l'idée d'une musique qui sort un peu des codes de commercialisation et d'écoute grand public. À l'écoute, vous remarquerez néanmoins assez rapidement qu'on est loin de ce qu'on pourrait légitimement appeler de la musique expérimentale : c'est que les deux frangins n'ont jamais cessé de penser le concept de musique alternative indépendamment du groove, et leur quatrième album, Clearwater, en est bien la preuve. Dès l'intro, on sent immédiatement la subtilité d'un hip-hop qui, bien que très contemporain, est parfaitement nourri par la franchise de l'ancienne école. Morceau après morceau, on progresse dans une façon d'expérimenter qui ne réside pas dans le fait de nous empêcher de rentrer dans leur musique, mais bien plutôt d'y rentrer avec une facilité d'autant plus déconcertante qu'on conserve vivement l'impression d'une grande nouveauté. On aurait envie d'appeler cela de la fraîcheur.
C'est que les influences qui ont mené à Clearwater proviennent d'ailleurs. Résolument hip-hop, le nouveau They Hate Change n'hésite pas à aller zoner du côté du trip-hop, de la musique électronique, et d'autres contrées qu'on prend un malin plaisir à redécouvrir dans leur identité si particulière, comme l'excellent « Skull » et son ambiance vaporwave, ou le japonisant « Clearwater ».
Si on est immédiatement ravi par l'originalité des morceaux et conquis par le côté très breaké des deux flows, on ne peut pas ne pas s'interroger sur la longueur du disque. Avec cinq morceaux pour un total de onze minutes, on a du mal à comprendre comment l'objet peut mériter le nom d'album. Et la question qu'on se posait pour Earl Sweatshirt il y a quelques mois prend plus de sens encore pour les Floridiens. Ce serait profondément simpliste et dénué de sens d'opposer quantité et qualité pour expliquer que plus on en fait, moins on a à dire. Peut-être que la réduction de l'espace temporel est la preuve d'une humilité sur l'ambition de partage du sensible ; peut-être considèrent-ils leur musique comme on considère la nourriture d'un restaurant étoilé ; peut-être encore ce minimalisme est-il l'expression la plus pure de la façon dont ils ressentent la façon qu'a un morceau d'être « parfait ».
Faute de pouvoir en discuter avec eux, on dira simplement qu'en donnant peu, They Hate Change vient trancher avec un monde qui en veut plus, avec un monde qui en demande trop, et se permet d'exister dans un volume esthétique qu'Andre et Vonne auront choisi pour eux-mêmes, s'arrêtant de parler au moment où ils considèrent qu'ils n'ont plus rien à dire. C'est pas ça qu'on appelle des artistes indépendants ?