Chris

Christine & The Queens

Because Music – 2018
par Aurélien, le 31 octobre 2018
7

Difficile de ne pas détester Christine & The Queens pour tout ce qu’elle représente. Héloïse Letissier à beau avoir pris son temps pour son retour aux affaires, elle n’a pas manqué de défrayer la chronique à plus d’une reprise, notamment en s’appropriant maladroitement la parole de la communauté queer et féministe à ses fins exclusives. En fait, c'est pire que ça: la chanteuse s’est même fait l’héroïne de combats maladroits, incarnant une bien-pensance qui dérange un peu, sans parler des accusations de plagiat qui sont venues ternir l’image de l'artiste prometteuse découverte sur Chaleur Humaine. Et donc, bienvenue en 2018, où le Christine & The Queens bashing est un sport national sur les internets français, à égalité avec les memes sur l’amitié entre Kanye West et Donald Trump. Tout ceci en dit long sur la difficulté d’appréhender ce nouveau disque dans la sérénité.

Il ne faut pourtant pas creuser trop loin pour comprendre que "Chris" est aujourd’hui le rouage d’une mécanique trop grosse pour ses frêles épaules, osons le dire. Si la scène n’a pas réussi à avoir totalement raison de sa fragilité et de sa timidité maladive, elle fait tout pour cacher ces traits de personnalité, quitte à trop en faire. Et s’il lui arrive d'être si expansive que ça en devient gênant, c’est bien son talent qui la rattrape et qui finit par la révéler touchante et irrésistiblement humaine. Autant de belles qualités qui ont réussi à lui attirer les faveurs de toute la presse américaine, ainsi que le regard bienveillant de pas mal d'artistes à l'international (Dâm-Funk ou Tunji Ige notamment). Pour autant, on ne sera pas trop surpris: Chris ne révolutionne rien, mais propose plutôt d'explorer avec davantage de profondeur son univers.

Car dans le fond, ce n’est ni la rupture, ni la révolution qui font de Chris un bon sequel, mais plutôt la minutie apportée à chaque morceau, qui réussit à éloigner sa génitrice de combats trop grands pour elle. Toute sa maladresse, Héloïse Letissier parvient à la canaliser ici dans une musique irrésistiblement catchy, ne renvoyant jamais à son personnage médiatique. Si ce nouvel effort donne une impression de minimalisme maladif, c’est pour que le personnage de Chris puisse incarner le spectre sonore qu'il représente dans sa globalité. Dans cette funk digitale réchauffée par ce grain de voix reconnaissable entre mille, absolument rien n’est laissé au hasard: de ses influences à la Madonna de la grande époque aux paroles cryptiques héritées du Etienne Daho période Pop Satori, tout est éminemment touchant, réussi. Sur Chris, Héloïse Letissier parvient à donner de l’épaisseur à son personnage, en nous rappelant au passage que si Christine & The Queens assume son statut de grosse machine qui lorgne sur le marché américain (pour rappel, le disque est sorti dans une version francophone et une autre anglophone), elle ne manque aucunement de personnalité. Et certainement pas d’audace.

On peut donc le dire: Chris est un disque solide et le prolongement réussi de son prédécesseur. Il n’y a guère que la communication dégueulasse qui l’entoure pour le tirer vers le bas: avec son étiquette "cool et progressiste", on a l'impression que Christine & The Queens est devenu l’équivalent musical d’un film de Xavier Dolan - comprendre ici qu'il faut fermer les yeux sur l'emballage promotionnel. Chris est un grower impeccable qui n’évite pas quelques fautes de goût, mais contient surtout quelques singles qui sont parmi les plus brillants de cette année 2018. Et puis franchement,  il suffit d'une seule écoute du portage en Anglais du disque pour se convaincre que c'est dans la langue de Molière que cette petite entreprise fonctionne le mieux. Comme quoi elle est très française, en fin de compte.

Le goût des autres :
8 Yoofat 5 Maxime