Changes
Charles Bradley
Inutile de faire semblant plus longtemps : la plupart d'entre nous étaient encore absents de ce monde quand Sam Cooke, Little Richard ou Ray Charles donnaient ses lettres de noblesses au mouvement soul. Par contre, un soir de 1962, dans la salle de l'Apollo à Harlem, un petit gars du public en prenait plein les mirettes devant le seul et unique James Brown.
Frappé par l'énergie et la prestance du Godfather Of Soul, le jeune Charles Bradley se met alors à rêver de monter un jour lui aussi sur les planches et d'électriser la foule. On ne va pas vous raconter pour la millième fois le parcours du combattant qui s'en suivit mais une chose est sûre : à supposer qu'il existe une autoroute qui mène au succès, Charles Bradley a préféré se paumer sur les itinéraires bis. Hashtag bison pas très futé. On peut juste être surpris qu'après tous les sales coups qui lui ont été réservés, sa gratitude et sa reconnaissance soient inversement proportionnelles à la merde qu'il a enduré.
Le nom pour commencer : Changes. Nommer ainsi son album dans le contexte actuel ne peut être innocent. Comme un écho à Sam Cooke et son mythique "A Change Is Gonna Come", Charles Bradley dresse le constat d'un pays qu'il voit changer. Alors que la violence, la haine ou l'ignorance gangrènent le débat politique américain, l'album s'ouvre sur le très sincère "God Bless America" - un titre qui renvoie au "America The Beautiful" de Ray Charles. Et même si le pays n'a pas toujours été tendre avec lui, l'enchaînement sur "Good To Be Back Home" confirme tout le bien que le chanteur pense de sa patrie. Preuve une fois de plus que Bradley prêche le pardon plutôt que la rancune.
Et puis il y a ce titre qui donne son nom à l'album, une sublime reprise de Black Sabbath. À croire que l'original a été composé pour être chanté de cette manière. Un titre déchirant mais aussi une mise à nu pour le chanteur qui exploite le thème l'amour perdu pour parler de la mort de sa mère. Sur ce titre (comme sur tant d'autres sur l'album), on retrouve cette humanité sincère et souvent absente du marché des musiques formatées, destinées à être éphémères.
Bien aidé par des musiciens de qualité (ses Extraordinaires qui l'accompagnent en live ou le Menhahan Street Band), Charles Bradley dispose de toute la place nécessaire pour façonner une soul puissante, guidée par une énergie constructive, capable d'apporter de la modernité à un style qu'on pourrait croire condamné à répéter les schémas des grands classiques.
À un âge où la plupart des artistes quittent la scène, Charles Bradley fait le chemin inverse, plus déterminé que jamais ("Ain't Gonna Give It Up"). Jamais avare lorsqu'il est question de partage et d'amour, The Sreaming Eagle Of Soul nous offre une fois de plus un album prenant et poignant, fonctionnant à l'énergie brute. Charles Bradley ne se contente pas de rejouer ou de revisiter, il se positionne comme un acteur évident du paysage de la soul et du rythm and blues, qui puise son énergie dans le changement.