Cascade
Floating Points
On peut trouver beaucoup de vices au streaming, mais il faut lui reconnaître au moins une vertu : avoir clarifié la position de l’album en tant qu’objet de consommation culturelle. Il y a encore dix ans, le passage par la case long play semblait inéluctable - avec une quantité de déchets astronomique à la clé. Aujourd’hui, pour de nombreux artistes qui n’en ont ni l’envie ni l’envergure, l’album est devenu une option parmi tant d’autres. Dès lors, on attend de ceux qui s’y frottent qu’ils le fassent avec déférence.
Et c’est la première chose qui saute aux oreilles quand on écoute le nouvel album de Floating Points : ça n’en est pas un, ce qui est surprenant venant d’un artiste qui a démontré par le passé combien il maîtrisait l’exercice. En réalité, il suffit de se reporter au communiqué de presse pour y voir un peu plus clair : le point de départ de ce retour dans le club après la parenthèse enchantée aux côtés du saxophoniste Pharoah Sanders est un amas de titres ayant pour vocation de ramener la musique de Sam Sheperd au plus proche du dancefloor. Autrement dit, il veut enfin vivre cette communion dont il a été privé par le Covid, qui a mis le monde à genoux peu de temps après la sortie de son dernier album de dance music à ce jour, Cascade. L’intention est louable, mais on eut apprécié que le producteur anglais soigne davantage sa copie tant le plaisir d’écoute est flingué par une narration défaillante - pour ne pas dire inexistante. C’est d’autant plus regrettable que malgré une forme hautement problématique, Cascade satisfait bien des attentes sur le fond, avec des titres qui tombent directement dans la case “career highlight”.
En réalité, on pourrait presque dire de cet album qu’il est la réunion de deux EPs tant le disque semble divisé en deux parties qui ne se parlent pas, ne se comprennent pas. Sur les cinq premiers morceaux, Floating Points est déchaîné comme rarement, avec un cardiofréquencemètre qui ne descend pour ainsi dire jamais sous les 130 BPM et promet déjà de grandes expériences de sudation collective en live. Pendant une trentaine de minutes, on retrouve le groupe que l’on avait découvert il y a dix ans avec l’imparable maxi "Nuits Sonores", grand défenseur d’une musique électronique minimaliste dans ses intentions, mais maximaliste dans ses émotions. Mélodiquement tirés au cordeau et propulsés par une folle envie d’en découdre, des titres comme “Del Oro” ou “Fast Forward” deviennent ainsi des objets cathartiques qui ne sont pas sans rappeler le travail d’un Max Cooper ou du Jon Hopkins d’Immunity.
À partir d'"Ocotillo", phénoménal titre à tiroirs dont les sonorités proches de la kora malienne fonctionnent comme une référence au travail du camarade Four Tet, Cascade entre dans une partie plus dense et texturée. À l’exact opposé d’une entame frontale, les quatre dernières pistes chérissent les reliefs accidentés, les contre-pieds insensés et les ascensions lentes. Travaillant une palette d’influences autrement plus large (IDM, garage, breakbeat), Floating Points nous rappelle alors qu’il est un créateur d’ambiances hors pair, qui n’a pas peur de se mettre en danger. On se dit alors que ces titres nous auraient peut-être permis de reprendre notre souffle entre deux bangers quelques minutes plus tôt, et qu’ils auraient alors contribué à faire de Cascade le très grand album qu’il n’est pas. On se contentera d’un enchaînement de pistes exceptionnelles qui célèbrent la touche “random” de notre lecteur et qui imposent déjà le disque comme le rendez-vous manqué le plus réussi de 2024.