Candid
Whitney
Sur papier, le concept de la reprise est louable. Et les raisons de s’attaquer au travail d’autrui sont nombreuses, et souvent tout à fait compréhensibles ou défendables. Enfin ça, c’était avant que cette activité devienne un business juteux à peu près aussi insupportable que la mode de la trottinette électrique, et la preuve ultime que tout un pan de l’industrie a définitivement perdu son exigence de qualité dans une colonne de tableau Excel. Mais histoire de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, précisons que des artistes usant de cette formule avec intelligence et parcimonie, il en reste suffisamment pour ne pas balayer d’un revers de la main la moindre velléité de faire vivre un patrimoine. Il est même vivement conseillé d’écouter Candid, l’album de reprises pensé par Whitney, le duo country-soul américain né en 2014 sur les cendres encore fumantes des Smith Westerns, petits anges de l’indie US partis bien trop tôt.
Contrairement à d’autres, le duo est très à l’aise avec l’exercice, qu’il entrevoit probablement comme une façon de jouer cartes sur table. À travers des reprises de Wilco, de NRBQ ou de Neil Young, Whitney ne se cache pas derrière ses influences, préférant les assumer totalement. C’est d’autant plus louable qu’à côté de ces moments de recréation, le groupe a toujours été en mesure de produire des albums qui lui ressemblent, et parviennent à exister pour ce qu’ils sont, et pas forcément à travers ceux à qui ils ont emprunté. Du coup, une grosse année seulement après Forever Turned Around, Candid sonne clairement l’heure de la récréation pour la paire formée par Max Kakacek et Julien Ehrlich.
Stylistiquement, on reste dans le droit fil de ce dernier disque, qui voyait le groupe continuer à perfectionner sa formule, pour un produit qu’il semblait vouloir toujours plus raffiné et polissé. Mais ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’en s’attaquant à des titres pour la plupart peu connus, Whitney ne débarque pas avec ses gros sabots, ou n’induit pas chez l’auditeur des attentes qu’il ne serait en mesure de satisfaire. C’est bien simple : hormis le « Take Me Home, Coutnry Roads » de John Denver (ici chanté avec Waxahatchee), et peut-être le « Strange Overtones » de David Byrne et Brian Eno, on est sur des titres plutôt confidentiels de Moondog ou Damien Jurado. Et là, le groupe, sans faire de vagues, donne clairement le sentiment de se faire plaisir sans jamais donner dans la pantouflardise ou la faute de goût. Il est par ailleurs tout aussi convaincant quand il s’attaque à des originaux ne relevant pas vraiment de sa sphère d’influence, comme quand il met à nu la basse music de Kingdom chantée par Kelela ou qu’il passe le R&B de SWV à la moulinette soft rock.
Il a toujours émané de la musique de Whitney une limpidité doublée d’une certaine humilité, comme si ces deux-là n’avaient pas totalement confiance en leurs qualités. Et s’en remettre aux talents d’écriture des autres peut être un excellent cache-misère pour certains musiciens certes besogneux, mais pas forcément talentueux. Mais vu l’aisance avec laquelle les Américains évitent les pièges sur Candid, difficile d’avoir des doutes sur leur capacité à continuer à nous régaler dans les années qui viennent.