Cadillactica
Big K.R.I.T
A GMD, on est loin d'être premiers sur le rap. La preuve: il aura fallu laisser filer six projets de Big K.R.I.T. avant que l'on ne se décide à lui dédier un papier. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup au regard du parcours de Justin Scott: petit prodige autodidacte du Mississippi, aussi brillant producteur que MC, le bonhomme a su cristalliser à la perfection l'héritage du country rap tunes cher à Pimp C – et plus généralement, à une large partie de la scène dirty south actuelle. Un parcours et une productivité exemplaires qui le rapprochent d'ailleurs de son mentor David Banner, l'autre homme à tout faire du Mississippi - et à qui il a bien fait de reprendre le flambeau d'ailleurs, vu que sa carrière a pris des allures de pugilat. Que notre lectorat nous excuse donc s'il est plus à la page que nous: avec notre train de retard, on a beaucoup de choses à dire sur Cadillactica, tant il nous oblige à regarder dans le rétroviseur. Et ce, malgré les envies de rupture exprimées par son géniteur sur cette nouvelle galette.
Car K.R.I.T donne le ton d'entrée: fini de faire cavalier seul. S'il garde une certaine main mise sur la partie instrumentale de son disque, c'est plutôt pour un siège de producteur exécutif à la Kanye West qu'il opte ici. Il lui appartient donc de driver un casting qui réunit des personnalités aussi diverses que Devin The Dude, Bun B, E-40, Rico Love ou Wiz Khalifa, et de leur donner la partition qui lui paraisse la plus juste et la plus naturelle possible. S'ils constituent des entités familières à l'univers du MC, il leur impose un rôle de composition inhabituel après autant de temps passé à prêcher l'évangile du sale sud. Et on sent bien d'ailleurs qu'ils ne savent pas tout à fait sur quel pied danser. Nous non plus d'ailleurs: si par le passé le natif de Jackson a déjà fait ses preuves en tant que chef d'orchestre, les premières écoutes révèlent toute la difficulté qu'il a à trouver la direction globale de son album. Tantôt pimp génial au flow TGV ("Mo Better Cool", "Cadillactica"), tantôt popstar sensible ("Pay Attention", "Life"), Big K.R.I.T. joue les funambules tandis qu'on se demande quand il osera le grand écart de trop.
Cette sensation de déséquilibre, elle n'a rien de surprenant: tout au long de sa carrière, K.R.I.T a montré une certaine envie se mettre dans la merde. Mais ici, c'était sans compter sur son insolente élégance à procéder de la sorte: ainsi, seuls les plus persévérants verront à quel point Cadillactica est un grower classieux. Le emcee étale ici une variété qui dénote avec son habituel cahier des charges. Résultat: il est souvent pop, parfois R&B, et même nu-soul avec les splendides "Third Eye" et "Do You Love Me". Il retombe toujours sur ses pattes, jusqu'à excuser les ventres mous de l'album. Et à l'arrivée, son unique fausse note, c'est de ne pas avoir su conclure Cadillacta comme il se doit, entre un "Saturdays=Celebration" anecdotique et (surtout) ce titre un peu WTF avec Lupe Fiasco qui vire UK Garage sans raison aucune – et qui nous rappelle à l'inexplicable absence de l'himalayesque "Mt Olympus" sur l'album, lui qui aurait justifié à lui seul l'investissement.
A l'instar du virage post-Stankonia d'OutKast, Cadillactica est un album qui risque d'opérer une césure importante dans la discographie de Big K.R.I.T. S'il s'évertue toujours à inculquer à son auditoire les valeurs de l'héritage de UGK ou 8Ball & MJG, il semble ici désireux de s'affranchir de l'empreinte sonore de ses pairs pour la dépoussiérer, la démocratiser, et y apposer sa griffe dans l'espoir de se retrouver à son tour cité par la nouvelle génération. Mais voilà, son septième album ne semble pas encore avoir la carrure du classique définitif: l'histoire qu'il raconte manque encore de mordant ou de l'effet de surprise qui avait fait de Krit Wuz Here la pièce maîtresse de sa discographie. Mais pour peu qu'on prenne le temps, il n'en demeure pas moins l'album le plus riche de sa discographie.