Butterfly 3000
King Gizzard & The Lizard Wizard
La discographie de King Gizzard & the Lizard Wizard est un peu à la musique ce que la carrière de Manuel Valls est à la politique : un gros running gag. Mais là où Manu le malandrin inspire des ricanements narquois, le parcours des Australiens nous larde le visage d’un rictus satisfait. Butterfly 3000 est déjà le 18ème album du groupe en onze ans, et même si l’annonce de chaque nouveau projet alimente notre incrédulité, celle-ci est habituellement balayée par la qualité du produit fini et – surtout – par l’originalité de la démarche.
Cette diversité dans l’hyperactivité a toujours été inscrite dans l’ADN d’un groupe qu’on ne saurait limiter aux seuls sphères garage psych. Ceci dit, elle s’est réellement affirmée ces dernières années, sans jamais que cela ne soit un frein à l’efficacité de la bande à Stu McKenzie. Ainsi, après l’album infini (Nonagon Infinity), la musique microtonale (Flying Microtonal Banana), le jazz (Sketches of Brunswick East) ou le thrash (Infest The Rats' Nest), ce sont cette fois les synthétiseurs modulaires qui unissent ces 10 nouveaux titres, et qui font de Butterfly 3000 une nouvelle pièce unique du « Gizzverse ».
Depuis quelques années, quand on a parle de synthétiseurs modulaires nous viennent à l’esprit des images de hipsters à moustache qui, entre deux IPA et un CDD de barista, vivent leur rêve berlinois et se lancent dans la techno. Mais vous vous en doutez, le groupe australien est très loin de cette image d’Epinal. Ces synthés modulaires, ils sont l’occasion de produire des motifs très simples et finalement plutôt discrets, mais qui servent à amorcer le songwriting comme le ferait un riff de guitare, et permettent alors au groupe d’entamer son habituel travail de broderie psychédélique et d’accoucher de dix pistes qui doivent autant à la pop qu’au prog rock.
Ce travail sur une nouvelle matière première a pour avantage de mettre en avant la mélodicité du groupe comme peu d’autres disques de King Gizzard & the Lizard Wizard ont pu le faire jusqu’à présent – une impression renforcée par le fait que le disque a été pensé comme un tout qui se joue d’une traite et ne s’autorise pas le moindre blanc. Mais parler de monolithe ne rendrait pas justice à un album dont la qualité première est la légèreté et la simplicité qui s’en dégagent, et qui s’imposent à nous dès une entame de disque particulièrement réussie (« Yours » et « Dreams » notamment).
Resserré pour aller à l’essentiel (mais pas avare en digressions comme sur l’hypnotique « Catching Smoke »), Butterfly 3000 ne ressemble à aucun autre disque de King Gizzard & The Lizard Wizard. Pourtant, et c’est ce paradoxe qui est probablement au cœur de leur insolente réussite, il suffit de quelques secondes à peine pour en identifier les géniteurs. Ou comment donner un tout autre sens à l’expression « vaste blague ».