Bring Backs
Alfa Mist
Dans un message posté sur Facebook à l’occasion de la sortie de ce nouvel album d’Alfa Mist, le dj / producteur / animateur / légende vivante Gilles Peterson s’est fendu d’un post dans lequel il faisait le bilan – formidable – d’une décennie de jazz anglais. Et qui de mieux que lui pour s’enorgueillir de la formidable vitalité du mouvement : c’est à son label Brownswood Recordings que l’on doit We Out Here, compilation-jalon sans laquelle des gens comme KOKOROKO, Ezra Collective ou Nubya Garcia ne seraient peut-être pas les têtes de gondole que l’on connaît aujourd’hui, capables de remplir des salles étiquetées jazz comme de briller à l’affiche de n’importe quel grand festival européen.
Autre preuve que cette compilation aura fait tache d’huile et braqué les projecteurs sur d’autres artistes qui n’en demandaient pas tant, c’est que le premier album d’Alfa Mist a eu pour tout accueil dans la presse une indifférence polie dont les proportions n’avaient d’égal que la qualité du disque, exceptionnel. Nous sommes quatre ans plus tard, et à la faveur d’un emballement aussi justifié que disproportionné pour tout ce qui se fait étiqueter « UK jazz », le claviériste londonien bénéficie enfin d’une exposition médiatique à la hauteur de son talent.
En trois albums, la formule privilégiée par Alfa Mist n’a pas foncièrement bougé, par contre elle s’est perfectionnée, affinée. Cette (quasi) absence d’évolution était déjà notable sur Structuralism en 2019, et elle se confirme sur Bring Backs, qui prend toujours un plaisir fou à diluer sa base jazz dans de généreuses lampées de soul, de hip hop ou de R&B. On pourrait penser que cette musique-là est bien dans l’air du temps, et donc hautement périssable, pourtant on lui trouve une certaine intemporalité, une capacité à s’élever au-dessus de la mêlée pour défier les modes et les époques, tant et si bien que contrairement à certains noms cités plus haut, on serait parfois bien en mal de dater la musique du band londonien, de la rattacher à une époque bien précise.
L’autre réussite de Bring Backs, c’est l’alchimie entre les différents membres du groupe, et la façon dont l’effort se répartit harmonieusement entre les différentes entités constitutives. Le jazz vaut bien sûr pour les moments de bravoure que se réservent les différents protagonistes, mais jamais on ne sent une volonté de privilégier qui que ce soi, et surtout pas le bandleader Alfa Mist, d’une discrétion assez remarquable. Bien sûr, chacun se voit réserver des créneaux pour briller en solitaire, mais ces échappées belles sont finalement assez rares, le groupe préférant s’élever collectivement pour optimiser la qualité du mouvement ondulatoire qu’il déclenche. À ce titre, les trois titres qui inaugurent Bring Backs témoignent bien de l’ambition collective du disque : pris individuellement, la généreux « Teki », le soulful « People » et l’introspectif « Mind the Gap », bien qu’il partagent assez peu de points communs dans la forme, parviennent à transmettre sur le fond un sentiment de cohérence et d’unicité, preuve ultime que ce groupe-là se trouve les yeux fermés. Y aller les yeux fermés, c’est bien le seul et unique conseil que l’on vous donner.