Braindrops
Tropical Fuck Storm
On a tous en stock des quantités astronomiques d’amour pour ces groupes et ces artistes qui, à nos yeux, n’ont pas et n’auront jamais la notoriété, les lauriers et le public qu’ils méritent. Ces forçats qui n’ont droit qu’à des petites salles jamais assez remplies, ou à des premières parties indignes de leur statut de superstar au hit-parade de nos cœurs. Et Tropical Fuck Storm rentre très clairement dans cette catégorie. En même temps, pour Gareth Liddiard et Fiona Kitschin, ce nouveau chapitre de leur carrière ne fait que reproduire ce qu’ils ont connu avec The Drones, groupe mésetimé qui a pris une pause indéterminée en 2016 après avoir livré 6 albums qui auront mobilisé une fanbase tout acquise à ce rock faussement primitif, évoluant en permanence sur la corde raide – Havilah, sorti en 2009 sur ATP Recordings (Fuck Buttons, Deerhoof) est un excellent résumé de leur vision musicale.
Depuis cette interruption volontaire de carrière, les fans des Australiens ont reporté leur dithyrambes sur Tropical Fuck Storm, dont la musique conserve cette férocité qui servait déjà de carburant à The Drones. L’expression ‘round d’observation’ ne faisant pas partie du vocabulaire des Australiens, pénétrer dans ce second album, le premier pour Joyful Noise Recordings, implique de se mettre dans un état d’esprit où l’on accepte d’être immédiatement éjecté de sa zone de confort à grands coups d’uppercuts dans le gras du bide, à pénétrer dans un univers anxiogène et capable de nous mettre dans un état de mal-être même quand tout va bien dans le meilleur des mondes.
Écouter TFS, c’est aussi se confronter une musique que l’on qualifiera de rock faute de mieux, mais qui se nourrit discrètement de nombre de ses sous-genres (post-punk, grunge, garage) pour créer quelque chose de finalement assez unique. Passé maître dans l’art du chaos contrôlé, et admirablement secondé par un groupe qui ne se limite pas au rôle de faire-valoir, le chanteur Garteh Liddiard occupe le moindre centimètre carré d’espace disponible avec ses complaintes et ses éructations, faisant valdinguer ses pions quand le bon sens voudrait qu’il les avance avec minutie. Mais c’est justement cette imprévisibilité qui confère parfois à la schizophrénie, cette capacité à nous emmener sur les sentiers battus pour mieux nous pousser dans le ravin fangeux, qui rend la musique de Tropical Fuck Storm si captivante.
Évoquant par moments le magnétisme un peu malsain de ses compatriotes de Grinderman, Tropical Fuck Storm aime se retrousser bien haut les manches pour mieux plonger les bras dans les égouts de notre société, là où stagnent les idées noires et les idéologies repoussantes. Des fois que vous feriez partie de ces gens ayant perdu totalement foi en l’humanité, dites-vous que vous venez de trouver avec Tropical Fuck Storm la bande-son idéale de vos complaintes désabusées. Quant à savoir si c’est avec ce disque que le groupe va se retrouver entre Tame Impala et The National à l’affiche de ton festival préféré, la réponse est non, bien sûr que non. Mais c’est justement parce que la vie est une petite pute que Tropical Fuck Storm est un groupe aussi indispensable.