Boogybytes Vol.05

Seth Troxler

Bpitch Control – 2010
par Simon, le 1 avril 2010
7

La série des sélections mixées Boogybytes (compilations du label d'Ellen Allien, Bpitch Control) a beau être bien implantée (pour avoir déjà été menée par Modeselektor, Kiki, Sascha Funke et Ellen Allien), elle connait un nombre non négligeable de détracteurs. On peut les comprendre. Car cette série a toujours eu le cul entre deux chaises, à hésiter entre psychédélisme minimal et grooves timides, pour un résultat souvent mitigé (si on exclut peut-être le volume d'Ellen Allien). C'est pour ces raisons qu'on se méfie un peu du nouveau rejeton de la famille, bien que la maison berlinoise ait cette fois recouru à un externe en la personne de Seth Troxler. Né au cœur de Detroit mais désormais échoué dans la capitale allemande, Seth Troxler revendique son parcours d'exilé comme une évidente source d'inspiration, comme une manière renouvelée d'aborder (et de proposer) une autre vision de l'électronique  - ce qui lui a valu de produire pour Crosstown Rebels, Spectral Sound ou Wagon Repair.

Et comme un voyage ne se prépare jamais à la légère, une attention toute particulière a été apportée à la tracklist, monumentale au premier regard. On y retrouve ce qui se fait de mieux en matière de musiques minimales (qu'elles soient techno ou house) avec un grand attrait pour le son qui groove à haute fréquence, une sorte de maelström funky ultra-digital. Et l'odyssée de commencer en douceur avec une certaine ambiguïté : du groove microscopique de Luciano (et son récent « Fran Left Home ») au remix de Dinky en passant par la chaleur de Mike Shannon, Seth Troxler divague en laissant la forme de côté, préparant le terrain avec langueur et longueur. Puis le groove se fait plus insitant, plus implacable alors qu'il force pour ne pas perdre une chaleur paradoxale instaurée par quelques vocaux improbables. Cette deuxième partie est sans nul doute la plus intéressante car si la deep-house soulful de N/A et Rosina n'a a priori rien de commun avec le groove froid de quelques experts (que ce soit l'imparable « Molar One » d'Alexi Delano, l'avancée minimale de Jabberjaw, autre pseudo du grand Matthew Dear, le « Signs » du jeune Canadien Hearthrobb ou encore le remix de Richie Hawtin pour Spektrum), toute la science de Seth Troxler est là : une électronique sous cloche stérile qui expérimente en laboratoire les différents points de collage entre le chaud et le froid, entre l'ultra-technologie et l'amour humain de l'émotion.

Et Seth Troxler a du talent pour tenter d'effacer les lignes qui séparent chaque partie d'une autre, sans quoi l'artiste tomberait – comme tant d'autres – dans un format rigide du type intro/corps/conclusion. Ça travaille dur et ça se sent. Et quand la troisième partie vient pour lentement annoncer la fin, on continue de penser (ou du moins on se force au départ) que le penchant pour les atmosphères androgynes vient en renfort pour tout ce qui a précédé, comme une continuité qui ferait de ce Boogybytes un monstre incroyablement cohérent derrière le risque de son entreprise. Et pour cela, Fever Ray (retravaillée par Seth himself), Kiki et Roman Flügel donnent à la sélection cette même impression de psychédélisme d'officine bloqué entre l'amour heureux du ressenti et la mathématique du groove minimal. Enfin, et pour finir, Seth Troxler conclut par le très bon – quoique morose - « Time For Us » de Nicolas Jaar, dernière preuve de l'ambiguïté d'un mix qui met longtemps à offrir ses véritables charmes. Troublant quoique réussi.

Le goût des autres :