Bobo Yéyé : Belle Époque in Upper Volta
Various Artists
À moins d'essayer de se la péter grave devant des zoulettes ou de vouloir dévoiler un ésotérisme imposé par les nouveaux diktats du cool à la face de ses potes, difficile de tenir une conversation pertinente et documentée sur la musique africaine. Bien sûr, on peut toujours se reposer sur l’excellent Awesome Tapes From Africa pour camoufler son ignorance et conseiller deux ou trois perles aux copains. Mais derrière cette poudre aux yeux se cache invariablement une réelle méconnaissance de la sphère musicale africaine et, plus largement, du continent en lui-même.
Bref, depuis la décolonisation, il semble que notre intérêt vis-à-vis du continent africain peine à s’affranchir du piédestal sur lequel nous nous sommes confortablement installés. Il est, de ce fait, délicat d’inverser le processus en trouvant un angle d’attaque pertinent et cohérent par rapport à l’ampleur de la démarche. On pourrait, en bons salauds convaincus de la supériorité occidentale, nier la diversité évidente des cultures ou l’influence du contexte politique en se contentant d’une bonne playlist Deezer bien grossière genre « best of Africa XD lol ». Ou alors, progresser prudemment en se focalisant sur quelques situations bien précises histoire, à terme, d’avoir un aperçu plus honnête de la richesse musicale africaine.
Et c’est précisément cette noble attitude qui transparaît de la démarche du label Numéro Group, qui nous invite à découvrir l’effervescence d’un pays alors en pleine mutation : la Haute-Volta. Vestige de l’époque coloniale, ce nom quasi-inconnu aujourd’hui a pourtant survécu au départ de l’administration française en 1960, suite à l’indépendance d’un pays qu’on nommera quelques années plus tard Burkina Faso. Parce qu’il est effectivement important de contextualiser tout cela, histoire de capter un peu mieux le véritable souffle de liberté et d’émancipation qui se dégage de ces trois heures d’écoute.
Période charnière pour le pays, les années 1970 demeurent spéciales pour une République de Haute-Volta alors en pleine mutation, avide d’affranchissement et d’identité : porté par l’espoir d’un avenir meilleur, tout un peuple jusque-là opprimé et divisé se rallie au rêve ingénu de résurrection et d’unité. Et c’est très justement cet optimisme candide que portent à nos oreilles les 37 titres de Bobo Yéyé: Belle Époque In Upper Volta, regroupés dans un triple album indispensable.
Certes impressionnant (voire répulsif par sa taille), Bobo Yéyé: Belle Époque In Upper Volta parvient néanmoins à véritablement encapsuler l’esprit festif de cette scène musicale en plein renouveau. On y découvre ainsi Volta Jazz, groupe qui laissera comme preuve de son existence un album et une vingtaine de singles - dont 16 compositions sont ici compilées sur le premier disque. Capable des mélodies les plus entraînantes à l’origine de titres franchement passionnants, dansants et ludiques ("Bi Kameleou"), Volta Jazz pioche divers éléments occidentaux, emprunte notamment au yé-yé hexagonal pour étendre sa palette toute singulière et parvient même parfois à éplucher notre petit cœur fragile ("Ma Douce Melody"). Soyons tout à fait clairs : on ne peut que vous recommander la plongée dans cet univers musical à la fois si exotique et si familier dont l’enregistrement précaire ne fait qu’ajouter à son charme.
D’autant que ces velléités libertaires précédemment évoquées s’expriment également au sein même de cette scène musicale, en témoigne Tidiane Coulibaly, déserteur d’un Volta Jazz qu’il jugea trop castrateur, consensuel et huilé pour assouvir ses désirs d’émancipation. On le retrouva alors aux commandes de L’Authentique Dafra Star de Bobo-Dioulasso, formation toute aussi talentueuse et donc logiquement génitrice d’authentiques coups d’éclat ("Si Tu Maime"), appuyant brillamment l’aspect cathartique des compositions ici réunies.
Hautement percussive, comme le prouve notamment la troisième partie de ce Bobo Yéyé: Belle Époque In Upper Volta marquée par Les Imbattables Léopards ou Echo Del Africa, souvent d’inspiration cubaine également, la musique a donc quelque chose d’intemporel en ce qu’elle parvient à traduire l’enthousiasme d’artistes transis par l’espoir d’un avenir durablement séduisant.
Pourtant, ce dernier s’obscurcira rapidement pour ces musiciens d’une génération bénie avec l’arrivée au pouvoir du révolutionnaire Thomas Sankara en 1983. En renommant le pays Burkina Faso, soit pays des hommes intègres, Thomas Sankara instaure également un couvre-feu ainsi qu’une loi empêchant les musiciens burkinabés d’être rémunérés grâce à leurs concerts. Voilà donc qui conduit à l’agonie une scène musicale passionnante, certes oubliée à ce jour, mais dont les reliquats sont autant d’instants de fête qui ne demandent qu’à être partagés. Reste alors ce testament d’une époque insouciante, libre et magnifique. Car plus qu’une compilation, Bobo Yéyé: Belle Époque In Upper Volta est une invitation.