Blues Funeral

Mark Lanegan

Beggars Banquet – 2012
par Michael, le 5 mars 2012
6

Vous avez vu? TF1 lance un nouveau télé-crochet avec Florent Pagny, Jenifer ou Garou, bref que du bon quoi. Et ça s’appelle The Voice. Mince, fallait leur dire que c’était pas la peine de se déplacer parce que The Voice nous on la connaît: on va leur envoyer la discographie complète de Mark Lanegan, rien de tel pour se nettoyer les esgourdes quand elles sont pleines de merde.

Car le grand taiseux tatoué est enfin de retour avec Blues Funeral, premier véritable album depuis l'excellentissime Bubblegum, soit tout de même huit ans d'une très longue attente. Pourtant on ne peut pas vraiment lui en vouloir tant il est resté comme à son habitude très actif durant cet hiatus, multipliant les collaborations (les Gutter Twins avec son vieux "jumeau" Greg Dulli, trois albums avec Isobel Campbell, un avec les Soulsavers, une participation à tous les albums des Queens Of The Stone Age depuis Rated R) et les featurings (Eagles Of Death Metal, Twilight Singers, Masters Of Reality, MartinaTopley-Bird, The Breeders...). La liste est tellement longue qu'il faudrait sans doute deux pages pour être exhaustif. L'étonnant dans toutes ces prestations, c'est la cohérence et la réussite du résultat malgré quelques tentatives plus surprenantes (Bomb The Bass, Soulsavers), que l'on aurait à priori pas associées de prime abord à la voix de Lanegan. En fait il y a fort à parier que si demain l'ancien chanteur des Screaming Trees devait faire un duo avec Beyonce, ce serait sans doute un succès.

Il faut dire que cette voix est du genre de celles que l'on s'arrache ou que l'on vendrait père, mère et première layette pour pouvoir s'en approcher. Car même en fumant pendant vingt ans trois paquets de Gitanes sans filtre et en s'enfilant une bouteille de whisky par jour, il est fort peu probable que l'apprenti chanteur arrive au résultat voulu, si ce n'est celui de la caisse en sapin. La voix de Lanegan a ainsi un côté "mystère alchimique", faite à la fois d'ambre, de bois de fûts de chênes centenaires, de métal corrodé, de charbon et de miel de la forêt noire (de préférence celle de Tolkien). Il suffit qu'elle soupire ou qu'elle chuchote pour dégager une force d'évocation et une charge émotionnelle sans commune mesure. On vous passera d'ailleurs ici les sempiternelles comparaisons avec Tom Waits ou Nick Cave, qui bien que compréhensibles n'ont pas lieu d'être, Tom Waits étant Tom Waits, Nick Cave étant Nick Cave et Mark Lanegan étant Mark Lanegan. Pas besoin de justifier ou de comparer le parcours de quelqu'un qui a traîné ses guêtres et enregistré ses premiers morceaux avec Kurt Cobain et fait partie d'une des groupes les plus sous-estimés des années 80 et 90.

Ce Blues Funeral était donc attendu comme le messie, et comme le digne successeur de Bubblegum, Field Songs ou Whiskey for The Holy Ghost. La presse spécialisée en aura vite tressé les lauriers, comme on aime à se dire qu'un album sera bon parce qu'il sera bon, un point c'est tout. Pourtant, dieu sait qu'on aurait voulu en dire autant et crier au nouveau chef d'oeuvre. Hélas Blues Funeral, s'il faut être honnête, est un nouvel effort qui restera comme un album mineur dans la discographie Laneganesque. Il appartient en effet à cet étrange catégorie des albums qui ne sont ni bons ni mauvais, mais juste corrects. On trouve ainsi trop de titres passables ou peu convaincants ("Riot In My House", "Quiver Syndrome", "Gray Goes Black"...), et en particulier les plus up tempo ou énervés, qui rabaissent le niveau des quelques très bonnes saillies de l'album ("Bleeding Muddy Water", "St Louis Elegy", "Phantasmagoria Blues"). Malgré une tonalité plus électro sur certains arrangements et quelques guitares et claviers originaux, la production certes tout à fait à propos de Alain Johannes n'arrive pas à tirer ce Blues Funeral vers les sommets que l'on aurait souhaité le voir atteindre.

Le titre qui nous rapproche le plus de Bubblegum, c'est finalement l'ouverture "The Gravedigger's Song" et sa pulsion pleine de noirceur : "tout est noir mon amour, tout est blanc, je t'aime mon amour, comme j'aime la nuit", en français dans le texte. Car si l'on peut émettre un bémol face à ce jugement très nuancé, il portera sur la qualité des textes de Lanegan qui, si la musique n'est pas toujours à la hauteur, se révèle un en plus d'être un interprète touché par la grâce, un très bon parolier qui sait manier les éternels thèmes de l'amour perdu, de la rédemption ou de la mort en évitant tout galvaudage.

Le goût des autres :
8 Laurent 6 David 7 Maxime