Bluefinger
Black Francis
A l’image d’un Robert Pollard ou d’un Ryan Adams, Frank Black est un véritable boulimique, un artiste qui ne peut s’empêcher de créer à longueur d’année et de partager le fruit de ses travaux avec son public. S’il s’agit d’un avantage indéniable pour les fans indécrottables de l’ancien leader des Pixies, un tel foisonnement de sorties peut se révéler être un inconvénient de taille pour l’amateur un tantinet moins attentif qui finit vite par perdre le fil d’une actualité en perpétuelle évolution. De plus, avec ce genre de créateurs inassouvis, il est souvent difficile de séparer le bon grain de l'ivraie dans une discographie bien trop impressionnante.
Dans le cas de Frank Black, après deux excellents albums post-Pixies (Teenager of the Year et The Cult of Ray), notre homme s'est surtout attelé à diluer son talent dans des albums trop anodins pour entretenir le mythe. Mais pour Bluefinger, Frank Black a décidé d'effectuer un bond dans le passé et de renouer avec le surnom qu'il utilisait au sein des Pixies... et le genre de rock énervé qui était l’une des marques de fabrique du groupe.
Inspiré par le travail de Herman Brood (un artiste hédoniste hollandais qui s'est jeté du toit du Hilton d'Amsterdam en 2001), Bluefinger est une décharge bienvenue de rock primal et de riffs secs rehaussés de la voix inimitable de Frank Black et qui flaire bon ces années 90 où la planète rock était dirigée par des groupes et artistes qui ne faisaient pas primer le look et l'attitude sur le contenu de leurs galettes. Composé d’une reprise d’Herman Brood et de dix nouvelles compositions de Black Francis, Bluefinger est un disque qui ne fait pas dans le détail et se borne à montrer toute l'étendue du talent d'un Black Francis qui n'a pas son pareil pour accoucher de titres efficaces et survitaminés (« Captain Pasty » ou « Tight Black Rubber ») sans oublier de rétrograder à quelques occasions en mode « relax » (« Discotheque 36 » ou le magnifique « Lolita »).
Incapable de réunir les Pixies en studio pour y enregistrer un nouvel album, Frank Black a décidé d’opter pour le surnom qui avait fait sa gloire et d’accoucher d’un album sur lequel l’absence des membres originels ne se fait nullement ressentir – notamment grâce à la prestation impeccable d’une certaine Violet Clarke qui nous ferait presque oublier que Kim Deal a un jour existé. Avec ce nouvel effort qui fera rapidement oublier les déceptions de ces dernières années, Black Francis a clairement accouché d’un disque qui fera ressurgir de vieux souvenirs et qui ne fera nullement pâle figure à côté de vos exemplaires de Trompe le monde ou Doolittle.