Blue Alibi
Mica Levi
Il y a quelque chose qui se rapproche d'un code dans ce nouvel album de Mica Levi, son deuxième quelques semaines seulement après Ruff Dog. Pas un code réservé à quelques élus à l'oreille affutée, non. Il serait plutôt question d'une énigme qui impose à chaque écoute une nouvelle grille de lecture. Brutal et froid à la première approche, Blue Alibi délivre progressivement des mélodies brillantes qu'aucun arrangement tortueux ne peut inquiéter. Les déformations sont pourtant nombreuses, cherchant toutes à éclater une esthétique soignée, à cacher la vie qui coule dans ce disque. Mais les écoutes s'enchaînent et offrent à chaque fois une nouvelle perspective nous permettant de plonger encore un peu plus dans l'univers de Mica Levi, punk dans le fond mais tellement plus de choses dans le forme.
Trop précis pour être un simple fond sonore, Blue Alibi est un album exigeant qui nécessite une écoute au casque pour comprendre la minutie qui entoure le travail de l'artiste. À première vue, on pourrait croire l'approche grossière et bâclée, bancale par nécessité parce que l'esthétique léchée, ça suffit un moment. La vérité, c'est qu'il y a chez Mica Levi une capacité à tromper la banalité pour proposer quelque chose qui s'approche d'une révolution à l'échelle du petit monde du lo-fi. Une révolution évidemment liée à la production de l'album, mais aussi à l'humilité discrète qui entoure sa sortie. Vu son passif, Mica Levi n'aurait probablement aucun mal à faire parler de sa personne, elle (ou plutôt "iel", Mica Levi ayant opté pour le pronom non-binaire «they») qui a incarné Micachu & The Shapes, ou à qui l'on doit les bandes vraiment originales de Jackie et Under The Skin. Sauf que Blue Alibi sort en autoproduction, comme pour garder un contrôle total sur la création. Une création qui se situe d'ailleurs à la croisée de ses projets précédents. Mica Levi prend le meilleur des deux mondes et positionne Blue Alibi quelque part entre la musique de film et le post-punk oblique de Micachu & The Shapes.
Accompagnée par le collectif CURL dont elle fait partie, Mica Levi livre un album qui crée une nouvelle forme de langage, une nouvelle forme de musique qui ferait imploser n'importe quel algorithme chargé de classer Blue Alibi. De l'esprit bordélique et free jazz de "Whack" à l'introspection marmonnante de "Rose", en passant par la pop de "Liquorice" ou la torpeur dévastatrice de "Waves", l'album est la bande-son idéale pour des temps misérables et enfermés. Qu'on ne s'y trompe : sous des dehors brinquebalants et imparfaits, Blue Alibi fait partie de ces disques plus grands que l'époque qui les voit naître. L'effet ne sera pas le même pour tous mais pour ceux qu'il aura touché, il faudra des années pour se relever d'une claque comme celle-là.