Blu Wav
Grandaddy
En 2006 Grandaddy sortait Just Like Fambly Cat, vendu comme l'ultime album d’un groupe qui n’avait plus de carburant dans le moteur – épuisé par les tournées, incapable de vivre décemment de sa musique. Et on pouvait difficilement lui en tenir rigueur, lui qui avait enchaîné les grands disques dès la fin des années 90 ; une drôle de concoction évoquant à la fois Neil Young, Pavement et ELO, et qui produisait des effets merveilleux. Mais selon toute évidence, le chanteur Jason Lytle a vite retrouvé quelques jerrycans de gasoil au fond du garage : après le split, il y a eu les albums en solo, la reformation au mitan des années 2010 (avec un album anecdotique à la clé) et toutes sortes de tentatives de continuer de faire exister Grandaddy dans les consciences – avait-on vraiment besoin de la version « on a wooden piano » de The Sophtware Slump ?
Mais le vrai problème est ailleurs : si on ne peut pas en vouloir à un groupe de faire fructifier son capital, depuis que Grandaddy est réapparu sur les radars en 2013, rien ne semble participer d’une dynamique collective, mais émane plutôt de la seule volonté de Jason Lytle d’utiliser le nom de Grandaddy plutôt que celui figurant sur sa carte d’identité pour exister. Là aussi, on pourrait encore avaler cette couleuvre étant donné qu’il est le principal artisan du succès du groupe. Sauf que même si ses copains n’ont pas souvent eu voix au chapitre, leur contribution apportait une vraie épaisseur, absente sur ce Blu Wav bien ennuyeux et dont Jason Lytle ne sort pas grandi.
Si Blu Wav est présenté comme un effort de groupe, c’est son chanteur qui doit être tenu responsable de cet échec. Il y a sur ce sixième album trop de titres anecdotiques et inoffensifs pour y trouver son compte – les ballades notamment, un exercice dans lequel Grandaddy excelle pourtant. Car Blu Wav n'est en réalité qu'une version Wish de Sumday ou The Sophtware Slump, une tentative maladroite de nous vendre un album très moyen de Jason Lytle comme s'il était le fait de Grandaddy. Ici, la batterie et la guitare (celles-là même qui donnaient du relief à des titres du calibre "He's Simple He's Dumb He's The Pilot", "Summer Here Kids" ou "I'm On Standby") ne jouent même pas un second rôle, au mieux pourra-t-on parler de figuration. On n’a rien contre les claviers brinquebalants et les textes doux-amers de Jason Lytle, mais ils ne peuvent à eux seuls faire tenir un album de Grandaddy sur ses deux guiboles. On est d’autant plus convaincus de ce que l’on raconte que les rares fois où on a le sentiment d'entendre un vrai groupe, la magie opère : « Watercooler » et « Jukebox App » sont à classer parmi les meilleurs compositions des Californiens.
À ses débuts, une bonne partie du groupe était affublée d'une barbe. Tel un Samson de l'indie, Jason Lytle semble avoir perdu une bonne partie de sa force créatrice depuis qu'il a sorti la tondeuse. Alors à une époque où les hommes à la pilosité faciale développée qui font le plus parler d'eux ne sont pas toujours les plus sympathiques ou recommandables, il faut pouvoir le dire : Jason, make les barbus great again, ou alors arrête de faire semblant d'y croire encore.