Blodhundar & Lullabies
Jonatan Leandoer96
Baby face, esthétique déroutante voire hasardeuse, textes dépressifs... Depuis sa magistrale (et un peu inexplicable) percée en 2013, Jonatan Leandoer Håstad a le mérite de ne pas laisser grand monde indifférent. C'est d'ailleurs probablement pour cela qu'après quelques années fastes où il fut propulsé au rang de star éphémère d'un cloud rap encore balbutiant, celui qui se fait plutôt appeler Yung Lean est retombé dans un certain underground. Fini les millions de vues sur Youtube et les feats avec Travis Scott et Frank Ocean ; après une adolescence passée dans les stratosphères médiatiques internationales, le Suédois de vingt-quatre ans se fait plus discret et s'inscrit dans des cercles relativement confidentiels.
Le virage s'est dessiné progressivement, esquissé par des expérimentations musicales franchement louables (grunge, indie et post-rock, entre autres) et des expériences de vie plutôt déplorables (drogues, accidents et hôpital, entre autres). Un retour d'outre-tombe en 2016 avec Warlord, où il commencera à agrémenter son rap régressif de sonorités brutes et d'images plus matures, poursuivi par Stranger en 2017 et le récent Starz, posera les bases d'un Jeune Lin désormais retourné à Stockholm et renouant avec ses racines nordiques. Une voix crue, à l'accent plus marqué et aux fausses notes moins lissées par l'autotune, vient se poser sur des projets variés réunis sous l'enseigne Year0001, non seulement label de Jonatan et toute sa clique de Scandinaves codéïnés, mais également des post-punks de Viagra Boys.
En parallèle de cette carrière de rappeur devenue trop étroite, entamée à la puberté sur des incrustations fond-vert de Mario Kart 64, Lean s'est construit depuis 2016 un alias aux allures de pseudo MySpace : Jonatan Leandoer127 - code postal du quartier stockholmois de Skärholmen -, récemment devenu Jonatan Leandoer96 - sa date de naissance. Un nouvel espace hybride, à mi-chemin entre lo-fi, artrock et tout genre pouvant porter "indie" comme préfixe, où il expérimente avec les moyens du bord. Après les touchantes ballades emo de Pyschopath Ballads (2017) et l'approximatif rock indé de Nectar (2019), Leandoer semble être parvenu à faire de son side-project sa principale source de création musicale.
Loin du cahier des charges d'un alter-ego rap, Blodhundar & Lullabies se compose de textes purs et sincères, sublimés par des arrangements à la fois intimistes et originaux signés Joakim Benon. Chansons d'amour et poèmes en suédois ("Vår Sång", "Som Du"), jolis concerts de cordes (violons et guitare acoustique) auxquels se lient quelques textures électroniques ; l'âme torturée du Suédois crache toujours sans modération son mal-être et ses références à la drogue, mais l'écriture est précise et se déleste des balourdises inhérentes au cloud rap pour emprunter des chemins gothiques et fantastiques. Quelques fausses notes (Leandoer n'est vraisemblablement pas un grand chanteur) sont toujours présentes, sans pour autant obscurcir de beaux moments de grâce. Alors que son prédécesseur Nectar était sec, fade et fatigant, Blodhundar synthétise et affine ses bonnes idées. Comptine enfantine sur "Sweet 17", requiem automnal pour "Colours of Tomorrow"... Les productions retrouvent le timbre vaporeux et onirique qui fait l'identité du garçon depuis le début des années 2010, tout en insufflant une personnalité touchante, celle d'un artiste qui tâtonne constamment et finira par se trouver.