Blizzard
FAUVE
On l’attendait impatiemment, ce premier EP de FAUVE. On vous a répété à de nombreuses reprises combien on croyait en ce projet, qu’on est vraiment fier d’avoir accueilli sur nos compilations Jeunes Pousses à un moment où il en était encore à un stade quasi-embryonnaire. On sait que FAUVE a particulièrement à cœur de ne pas être simplement tenu pour un groupe de rock français. Le collectif le clame sur son site et dans chaque entretien qu’il accorde : dans ses visées comme dans sa conception de ses propres limites, il dépasse le statut d’une clique centrée sur sa production musicale. Cela passe par une dimension participative, ouverte idéalement à la collaboration de chacun. Cela se mesure aussi, entre autres, au souci porté à l’accompagnement visuel, en vertu duquel chaque titre dévoilé est accompagné d’un clip artisanal. Rappelez-vous “Blizzard”, le titre éponyme de cet EP, qui nous avait valu un court-métrage bricolé de façon audacieuse et sincère pour aboutir à un résultat léché, ambigu et d’une euphorie féroce. Comme une synthèse du projet, en somme.
Quand on parle de FAUVE à ceux qui n’en ont jamais entendu parler, on voit se bousculer les intertextes possibles. Les filiations imparfaites aussi, tant FAUVE se plaît à échapper à chacune des références desquelles on peut le rapprocher, en en prenant le contre-pied. À la limite, on s’en tire avec des oxymores : du Diabologum avec une gueule de bois et moins d’Expérience, du Godard quasi-slamé, du Arnaud Fleurent-Didier plus brut et beaucoup moins propret, du Fuzati doté d’une voix de tête qui serait né dans le 4e Arrondissement et égrènerait ses rimes sur des arrangements empruntés à WU LYF. À la fois tout ça, et tout autre chose.
L’ensemble de ces six titres est peut-être parfois naïf ; éventuellement niais dans ce trop plein d’espoir dont on sait qu’il pourrait être mobilisé cyniquement par des branleurs (réciter “Rub a Dub” à une mignonne, c’est quasiment l’assurance de la retrouver dans son lit) et que certains pisse-vinaigres n’hésiteront sans doute pas à atrophier en les comparant aux productions mièvres de nombreux moutons noirs de la pop française. Mais cette naïveté et ce trop plein d’optimisme servent une écriture à la fois brute et fine, un style faussement simple, direct, précis, sans fioritures. Et c’est précisément ce qui fait la réussite du projet.
En écoutant le formidable dernier album du Klub des Loosers, on avait senti des intersections avec la vision du monde défaitiste d’un Michel Houellebecq et une prose de la solitude rappelant les meilleurs textes de La Poursuite du bonheur. Avec FAUVE, le positionnement est à l’extrême opposé : si le collectif convient volontiers que cette vie n’est pas simple, il ne s’agit pas pour autant de la subir et de la dénoncer avec morgue. Là où Fuzati croit en l’impossibilité d’une île, FAUVE, sur un titre qui ne figure pas sur l'EP mais dont la vitalité irradie sur ce dernier, t’en offre 4000. Pas forcément laotiennes d’ailleurs : 4000 ailleurs où tout est luxe, calme et volupté. 4000 raisons d’y croire, 4000 façons de sortir du blizzard, de marquer la honte d’un sourire d’ange façon Gwynplaine et de tabasser le remords au coin d’une ruelle. S’autoproclamant biface, à la fois “béquille et lanterne”, FAUVE, tout au long de cet EP dynamisé par des mélodies percutantes, te prend par la main, te met un pied au cul et te dit d’avancer, parce que ça en vaut la peine. Dans cette logique, le choix de priver ce mini-album de “Saint-Anne” apparaît comme une décision judicieuse, tant ce titre, dévoilé il y a plusieurs mois, pue le cafard. Et si les intéressés sont mal à l'aise avec l'étiquette “littéraire” qu'on pourrait être tenté de leur coller, il n'empêche que, à l'écoute des regains énergiques de “Nuits fauves”, on se prend à songer à certains textes d'Aragon — à des extraits du “Cri du butor”, par exemple. Une poésie urbaine capable de dépasser les affèteries rhétoriques pour faire mouche à coups de micro-récits où le prosaïque et le lyrique s’équilibrent parfaitement (“Offre-moi dès ce soir / Ta peau brune et tes lèvres mauves / Tes seins, tes reins, tes cheveux noirs / Et qu’on se noie dans les nuits fauves”).
Alors bien sûr, on pourrait se demander ce qu’il adviendra de ce projet ambitieux quand la brume qu’il s’évertue à dénoncer sera définitivement dissipée et qu’il se sera fait une vraie place au soleil. Est-ce que FAUVE aura encore quelque chose à dire, passée cette révolte contre la routine ? Est-ce qu’on peut craindre qu’en prenant de l’ampleur, le groupe perde en efficacité et en originalité ? Disons qu’on ne va pas tirer des plans sur la comète et qu’on prendra peut-être la peine de creuser ces questions dans quelques mois, au moment où elles feront sens. Pour l’heure, on va surtout profiter de cet EP débordant de classe et d’un optimisme contagieux, dont on n’est pas loin de croire — sans vouloir mettre la pression — qu’il pourrait annoncer rien de moins que l’album d’une génération. Et on ne se privera pas de conclure que si, à en croire le morceau “Blizzard”, “la vie est un casse du siècle”, le succès de FAUVE, lui, n’est franchement pas volé.