Black Panther The Album
Various Artists
On peut détester Kendrick Lamar pour son omniprésence, le plébiscite dont il fait l’objet ou sa manière d’envisager le rap « engagé », mais on peut difficilement lui nier un immense talent. Si l’on exclut l’un ou l’autre featuring un peu honteux, sa carrière s’apparente à un sans faute qui l'aura vu conserver sa street cred intacte depuis son apparition sur les radars avec Section.80. Et s’il est signé en major, ses albums auront toujours été auréolés d’un halo « arty », d’autant plus facile à défendre que le rap grand public est globalement considéré par ceux qui n’en écoutent pas comme une affaire de mongoliens.
Kendrick Lamar s’en fout lui: il est adulé par tout le monde, du lecteur de Télérama à l’intelligentsia du cool en passant par les apprentis racaillous qui veulent se donner une conscience politique. Et si sa discographie peut se targuer d’afficher une belle variété dans les thèmes et les ambiances explorés, Kendrick Lamar ne s’est jamais vraiment frotté à un exercice aussi complexe que cette compilation, qui le voit assumer un rôle de curateur pour la bande originale de Black Panther, premier film de superhéros où les afro-américains ne sont pas cantonnés aux seconds rôles.
Le second rôle justement, c’est celui qu’a décidé de s’attribuer Kendrick Lamar sur cette bande originale - en façade du moins. Ainsi, là où on aurait pu s’attendre à un disque tout à la gloire du nouveau patron de Compton, on se retrouve avec un produit sur lequel K-Dot pointe le bout de son nez à intervalles réguliers, l’air de ne pas trop y toucher, et ne voulant jamais voler la vedette à ses invités. Et surtout un produit qui prend des airs de grande playlist qui atteint directement son coeur de cible là où le More Life de Drake n’avait été qu’un pétard mouillé conceptuel.
Sur cette B.O. qui s’écoute davantage comme une playlist Spotify que comme un véritable album (c’est dans l’air du temps en somme), Kendrick Lamar joue au tonton bienveillant qui se tape l’incruste dans un engouement assez communicatif, emmenant vers les sommets des gens comme 2 Chainz ou Travis Scott. Profitant de son statut d’architecte du projet, il ne manque pas non plus de se réserver une belle place sur les meilleurs moments du disque: on pense aux tubes absolus portés par les refrains de SZA et The Weeknd ou au sombre banger « King’s Dead » réunissant un casting digne d’un 5 majeur de All Star Game - Jay Rock, James Blake, Future et Anderson .Paak dans une équipe coachée par Mike WiLL Made-It. Mais la vraie force de ce disque, elle réside dans l'intelligence de son géniteur au moment d'être aux abonnés absents: ainsi l’Anglaise Jorja Smith n’a besoin de personne pour confirmer qu’elle est bien la next big thing du R&B sur « I Am », et on n’aurait détesté que quelqu’un vienne s’immiscer sur la ballade chaloupée réunissant Khalid et Swae Lee, incroyable de justesse pop.
Objet plutôt hybride, cette B.O. de (et inspirée par) Black Panther est à la hauteur des ambitions de l’usine à fric Marvel, qui se fixe invariablement pour objectif de pondre des blockbusters avec une certaine épaisseur, tant au niveau du scénario que des personnages. Et si on a pas encore eu l’occasion de se ruer dans une salle obscure pour savoir si Black Panther est du niveau du premier Iron Man ou des deux derniers Captain America, on sait déjà que sa B.O. est l’une des choses les plus efficaces que pourra produire le rap américain en 2018.