Bi Cinnete Bakar
Lalalar
C’est imparable. Il suffit de piocher n’importe où dans le catalogue du label genevois Les Disques Bongo Joe pour trouver un bon disque. De leurs compilations rétrospectives aux groupes émergents venus du monde entier, le flair de Cyril Yeterian (lui-même musicien dans Cyril Cyril) est infaillible. Mais malgré cette qualité omniprésente, certains groupes sortent du lot. Et Lalalar est de ceux-là.
Dès son apparition dans le catalogue du label fin 2019, on sentait bien que quelque chose se passait avec ce trio d’Istanbul. La simple mention du CV du leader, Ali Güçlü Simsek, avait de quoi attirer l’oeil, puisqu’il est l’un des plus proches collaborateurs de l’excellente Gaye Su Akyol. Mais cette première salve de singles indiquait une chose : le rock psyché anatolien a fait son temps. Le voilà qui se teinte désormais d’electro entre new wave et indus. C’est moite, c’est intense, même exaltant. Depuis, l’aura du groupe n’a cessé de grandir, notamment après un remarquable passage aux Transmusicales. Et les voilà maintenant lancés avec ce premier album.
On pourrait noter quelque choix étranges. Par exemple, le disque réunit tous les singles sortis au compte goutte entre 2019 et jusqu’à quelques jours avant la sortie du disque. Résultat : le fan de la première heure n’a plus qu’environ quatre inédits à découvrir. Certes, les premières sorties ont été réenregistrées pour l’album, mais la différence n’est pas flagrante. Autre conséquence, qui concerne cette fois les néophytes : le disque est long de quasiment une heure. Certes, rempli de très bonne musique, comme on le verra. Mais tout de même, peut-être aurait-il fallu laisser quelques morceaux de côté.
Mais on est bien là en train de bouder notre plaisir. Parce qu’aucun de ces 15 titres n’est faible. Et malgré une formule totalement unique déroulée tout au long du disque (en résumé : anatolien + dark wave + punk + parlé chanté mélancolique et dépréciatif), le trio sait se renouveler. Car si les influences revendiquées (Pantera, Depeche Mode, Rage Against The Machine, Portishead...) sont plus ou moins évidentes, elles sont surtout insuffisantes. Dans cette déferlante sonore, le groupe sait se faire plus funky (« Ninja Partisi », « Simülasyon Terk »), ou planant (« Kilavuz Karga »). Ou même répliquer l’ambiance fin de soirée d’un bar avec son réjouissant morceau titre.
Mais le plus souvent, il lâche les chevaux, balançant ses percussions aussi tranchantes que le rasoir de sa pochette. Des beats aux riffs, tout est affûté et nous propulse tout droit vers une transe furieuse. On a même droit à quelques sommets, comme l’incroyable « Hiç Mutlu Olmam Daha İyi », magnifique appel au lâcher prise. Malgré la noirceur des paroles et des ambiances, on ressort de ce disque (et plus encore des concerts) avec une joie féroce. Ce qui est la meilleure réponse que le trio peut apporter à son terrible gouvernement. Et ce dont on a besoin pour garder espoir.