Beyoncé

Beyoncé

Columbia – 2013
par Jeff, le 6 janvier 2014
7

On n’a jamais vraiment douté de la popularité démentielle de Beyoncé, mais les chiffres donnent quand même le tournis: en un weekend, la Queen Bey a écoulé sur iTunes 828.773 exemplaires de sa nouvelle galette, qui est, pour rappel, sortie à la surprise générale et ne pouvait se télécharger que dans son intégralité, et non à la carte. Un exploit dans les conditions actuelles d’un marché du divertissement de masse qui carbure davantage au single un brin pupute qu’à l’album conceptualisé dans sa globalité.

Et donc, en quelques heures, Miss Carter a fait surchauffer les serveurs du mastodonte de Cupertino et foutu un beau bordel sur Twitter. Tout ça pour nous prouver que derrière une tactique marketing qui n’étonne plus grand monde en 2013, il y a surtout cette évidence: Beyoncé n’a besoin de rien ni de personne pour rester au sommet. Enfin, besoin de personne, on exagère peut-être un peu. Car ce nouvel album, son cinquième, c’est la ligue des gentlemen extraordinaires qui se réunit autour d’un seul et même monolithe censé symboliser tout ce que le r’n’b fait de mieux en 2013. De fait, on comprend vite à la lecture du casting que tout le monde qui compte a voulu en être. A un point tel qu’on en arrive à un tracklisting à peine croyable. A l’image de ces disques de hip hop qui réunissent la crème des producteurs du moment (dont pas mal se retrouvent ici, comme Timbaland, Hit-Boy, The-Dream ou Noah ‘40’ Shebib) Beyoncé appartient à cette catégorie d’objets produits à l’excès, mais dont le résultat ne cessera jamais de sidérer, cristallisant une nouvelle fois cette quête effrénée de la perfection (de façade du moins) propre à l’entertainment américain.

Evidemment, quand cette industrie tente de mettre en lumière des talents un peu creux, cela donne des albums dont le vernis ne met que quelques écoutes à se craqueler. Mais quand on parle d’une dame dont le seul défaut est probablement d’être parfaite, on se situe tout de suite dans une autre division – où Beyoncé semble d’ailleurs bien seule en 2013. Cet album éponyme, c’est donc une petite heure à la seule gloire de la Texane, un exercice de courbettes incessantes qui ne fait que confirmer ce que l’on savait déjà : Beyoncé est sur une autre planète, et pour un bon bout de temps encore. Après, passées les premières écoutes où l’on s'en prend forcément plein les mirettes (un sentiment renforcé par le penchant visuel de Beyoncé), il est bon de se pencher avec un peu plus d’attention sur la qualité intrinsèque des morceaux, qui ont forcément bien plus à offrir que leur éclatante beauté de surface. Et c’est peut-être là que l’on trouvera suffisamment de grain à moudre pour critiquer Beyoncé – c’est d’habitude tellement compliqué qu’on ne va pas louper cette occasion.

Ainsi, si l’on a bien du mal à émettre la moindre critique à une entame et une fin d’album tout bonnement intouchables et d’une rare cohérence malgré la multiplication des intervenants, Beyoncé n’évite pas le piège du ventre mou – ce qui rend le disque presque attachant de normalité, avec des titres d’une banalité plutôt confondante. Evidemment, dans ce passage à vide, on trouve des compositions qui feraient le bonheur de n’importe quel artiste de seconde zone suçant la roue de Sasha Fierce, mais quand on s’appelle Beyoncé, on ne tolère que l’indispensable. Et par indispensable, on entend des joyaux en mesure d’exploiter pleinement un potentiel qui ferait presque oublier les apparitions vocales d’un Drake sur le sensuel «Mine» ou d’un Jay Z sur le puissant «Drunk in Love». En fait, au jeu du guest de luxe, seul Frank Ocean tire vraiment son épingle du jeu avec un «Superpower» tout en élégance feutrée et qui nous rappelle qu’avant d’être le chantre d’un certain renouveau R’n’B, le crooner de L.A., tapi dans l'ombre des plus grands, monnayait ses talents pour Justin Bieber, Brandy ou John Legend.  

A l’arrivée, malgré quelques petits défauts, Beyoncé fait partie de ces albums à même de concilier envies du grand public, velléités indé et conscience hipster dans un disque qui a surtout été pensé comme un objet d’art ultime. Et puis, et c’est probablement le plus important : l’ex-Destiny’s Child a enfin atteint cette maturité qui se dessinait sur un 4 qui prenait déjà quelques risques et qui lui permet aujourd’hui de faire ce qu’elle veut, et de le faire bien. En fait, avec Beyoncé, l’Américaine vient peut-être d’entamer la partie la plus intéressante de sa carrière. Et on sera là pour ne pas en louper la moindre miette.

Le goût des autres :
6 Maxime