Benji
Sun Kil Moon
On n’arrête plus Mark Kozelek : plus les années passent, plus la tête pensante des Red House Painters accélère le rythme de ses sorties et de ses tournées, laissant bon nombre de ses contemporains sur le bord de la route. Ainsi si, l'an passé, nous avons dans ces pages salué le bel album en duo avec Jimmy Lavale de The Autumn List, nous n'avons même pas pris le temps de nous attarder sur son disque de reprises Like Rats, pas plus que sur son autre collaboration, avec le groupe Desertshore cette fois, sans parler des quatre (!) albums live, tous sortis en 2013.
A peine cette année terminée, l'Américain, sans prendre le temps de rétrograder, nous livre déjà un nouvel album de Sun Kil Moon, qui fait suite à Among The Leaves, paru il y a à peine 18 mois. Avec ce Benji, Kozelek - aujourd'hui unique membre du groupe - continue de livrer des chansons épurées, bâties en grande partie autour de sa guitare et de sa voix. Il s'entoure cependant cette fois de quelques calibres indies, qui ajoutent de la chair et renforcent l’ossature de sa musique. Figurent ainsi au générique Steven Shelley, ancien batteur de Sonic Youth, ou encore Will Oldham (aka Bonnie 'Prince' Billy) qui assure les chœurs sur trois titres. Une belle équipe que Kozelek emmène prendre le contre-pied de son précédent disqu composé pour l'essentiel de plages très courtes et ultra dépouillées. Les excès passés de la formule hyper acoustique sont ici largement contrebalancés par l’apport d’autres instrumentations sur plusieurs morceaux, qui sont d’ailleurs les meilleurs du disque : "Dogs", emmené par la batterie de Shelly ou encore "Jim Wise" et ses discrètes notes de xylophone.
Les textes emplis de noirceur contribuent en outre à maintenir une tension continue. Au détour de chaque titre, la mort rôde, et le ton très personnel employé par l'auteur ne laisse pas insensible. "Truck Driver" évoque le fantôme de son oncle, le formidable "Micheline" celui de sa grand-mère, et nombre de personnages (fictifs ou réels, on ne sait pas vraiment) aux destins brisés par des accidents, fauchés en plein vol, parcourent la musique piste après piste. Kozelek, grand amateur de reprises (il a interprété des albums entiers du genre, reprenant AC/DC aussi bien que Modest Mouse en acoustique), truffe également ses compositions (toutes originales ici) de références aux grands noms du rock. Au détour des lyrics, on croise McCartney et Bowie ("Micheline"), et on a une pensée pour Led Zeppelin sur "I Watched the Film The Song Remains The Same". Quant au sommet "Ben's My Friend", une pure tuerie portée par un combo guitare/saxo à écouter absolument, il est dédié à Ben Gibbard, leader de Death Cab for Cutie et moitié de The Postal Service.
Benji, tout comme Perils From The Sea, bien que dans une veine autrement plus épurée, fait partie des grands albums de la discographie de Mark Kozelek. Celui-ci imposant un rythme de sortie très dense, il est difficile de séparer le bon grain de l'ivraie. Heureux lecteurs, GMD se charge de le faire pour vous: écoutez donc celui-ci les yeux fermés. Et il paraît d’ailleurs que le lascar est déjà au taf sur un album de Noël. Mais chaque chose en son temps...