Behold a Dark Horse
Roc Marciano
A une époque pas si lointaine que cela, on aurait écrit ce papier en déplorant l'indifférence criminelle dans laquelle sortent les projets de Roc Marciano - une indignation tout à fait légitime au regard de la granularité si particulière de son flow ou de la constante qualité de ses productions. On aurait aussi répété qu'il est aberrant que des rappeurs comme Action Bronson, Westside Gunn ou Mach-Hommy, avec qui il partage tant de points communs, accaparent toute l'attention, lui laissant juste le privilège d'être dans le rôle ingrat du "critic's darling". Mais cela fait suffisamment longtemps que l'on adopte cette posture, et suffisamment longtemps que Roc Marciano ne change pas pour son fusil d'épaule pour que le constat soit devenu implacable: le New-Yorkais a fait le choix tout à fait louable de privilégier son éthique de travail face à une hypothétique succès qui lui imposerait de trahir ses idéaux. Il l'aime trop son rap de pimp, il l'aime trop son quartier dans ce qu'il a de plus glauque, il l'aime trop cette vie passée à ne jamais perdre la face devant une concurrence qui n'attend que ça. Depuis Macberg en 2010, Roc Marciano reste donc fidèle à sa ligne de conduite, inattaquable si l'on fait exception des saillies homophobes qui sont si fréquentes qu'elles doivent bien cacher quelque chose. Sa recette, à défaut de la faire évoluer, il a choisi de la perfectionner inlassablement, notamment dans la manière dont l'univers qu'il façonne évolue inlassablement vers quelque chose de plus en plus évocateur et cinématographique - on aurait presque envie d'utiliser un horrible néologisme, "tarantinesque". En ce sens, Behold A Dark Horse forme une trilogie également composée de Rosebudd’s Revenge et RR2 — The Bitter Dose, tant ces trois disques font l'étalage d'une vision cohérente et totalement maîtrisée, où une certaine forme de rap à l'ancienne [insérez ici un commentaire sur Mobb Deep ou Rakim] parvient à rendre compte d'une réalité qui est loin d'avoir disparu - car là où le rap sudiste a réussi le petit exploit de rendre sexy la galère des trap house, la discographie d'un Roc Marciano ramène à la dureté du bitume, à l'implacable violence qui constitue le quotidien des 'projects' américains. Face à une certaine forme de rap qui a tellement bouffé les codes de la pop qu'elle en finit par se vider de sa substance, il est bon et salutaire de plonger tête la première dans un projet comme Behold The Dark Horse. Par contre, on ne vous promet par le jacuzzi, plutôt la douche froide.