Beerbongs & Bentleys

Post Malone

Republic Records – 2018
par Aurélien, le 30 mai 2018
5

Le lycée était une belle période. Déjà parce qu'il marquait la fin du collège, cette sombre flaque de merde dans laquelle je pataugeais entre râteaux, bagarres et éruptions de sébum. Ensuite parce que je pouvais me balader avec un combo pantalon treillis / Converse rouges sans me faire arrêter par la police du bon goût. Même la musique me semblait meilleure: dans l'iPod pourtant, je me trimballais tous les standards du rock californien, ces groupes qui semblaient se refiler les mêmes tablatures sans que ça ne choque trop de monde. En même temps, à quoi bon se plaindre qu'une chanson ressemblait beaucoup à une autre, tant que ça restait une bonne chanson? 

Evidemment, à un moment les ficelles sont devenues trop grosses, et j'ai fini par me fatiguer. Ou je suis devenu con et blasé, difficile à dire. Toujours est-il que dix ans plus tard, les guitares ne me fascinent plus autant, et pour tout un tas de raisons (l'arrivée du streaming notamment), c'est désormais le rap qui amène les jeunes à se bagarrer dans une fosse de concert. Parmi ces entertainers d'un genre nouveau, on peut trouver notamment Trippie Redd. Il est né en 1999, ce qui signifie qu'il n'avait que quinze jours quand Enema Of The State de Blink-182 est sorti. Pourtant, son A Love Letter To You 2 épouse des parallèles épatants: chaque titre est strictement superposable, sauvé in extremis par une science du hook, et par cette spontanéité irrésistible que j'affectionnais dans le groupe de Tom Delonge. Et là encore, aucun débat à avoir, c'est définitivement la même chanson qui est jouée à quatorze reprises. Et c'est très bien comme ça.

C'est sans doute aussi parce que les exigences du public en matière de musique ont largement chuté que Post Malone est devenu aujourd'hui un mec qui pèse autant. Mais ça n'explique pas tout: il a en lui cet ADN rock naturel. Invité à la House Of Blues, le mec a pris à contre-pied total son public en interprétant le "All Apologies" de Nirvana armé d'une guitare acoustique. Et en bon Texan, le mec ne cache même pas son envie de jouer de la country et de plaquer un jour le rap. Dans le jargon, on appelle ça un cheval de Troie: si sa musique a l'odeur et la couleur de la trap, elle n'en a ni goût ni l'authenticité. C'est un leurre magnifique, un type labellisé rappeur par accident, lui qui fait du rock avec les codes de la trap. Un monstre servant à faire écouter du rock à ceux qui écoutent du rap et inversement. Du coup, pas bien étonnant qu'il soit le premier artiste à posséder deux disques dans le Billboard 200 depuis Linkin Park l'an passé. CQFD.

Pour ce qui est de la qualité intrinsèque du disque, Beerbongs & Bentleys arrive pour tout casser et enchaîne sans sourcilier 18 titres davantage pensés comme une course aux tubes que comme un véritable album. Ici, aucune direction artistique ne se dessine, et on est clairement dans ce que l'industrie sait produire de plus léché et catchy. Clairement, ce deuxième effort est là pour générer du streaming, avec ce que ça a de bons et de moins bons côtés: c'est immédiat, impeccablement exécuté. Et sans doute voué à quitter nos playlists Spotify sous six mois, aussi. Chacun peut donc faire son shopping à la recherche des tubes qu'il appréciera le plus. D'ailleurs, on ne saurait pointer du doigt un titre qui nous ait déplu, tant tout est uniformisé à l'extrême, sans bousculades ni audace, et toujours respectueux d'un cahier des charges qui a fait ses preuves au format single.

Alors qu'est-ce qui justifie que l'on perde du temps pour parler d'un disque où tout se ressemble, qui ne marquera définitivement pas l'histoire, et qui ne remporte même pas un succès critique ? Et bien peut-être parce qu'on se sent finalement solidaire de cette jeunesse qui vibre à 100 % sur cette recette, comme on a pu vibrer de la même manière au son du rock californien. Que quand les premières notes de "Rockstar" se sont faites entendre à la radio, j'ai vu ma cousine de quinze ans entrer dans le même état de transe que moi à l'époque où j'écoutais "Fat Lip" dans ma chambre. Un disque émouvant, mais pas pour les raisons qu'on imaginait.

Le goût des autres :