Because The Internet
Childish Gambino
Dans le monde de l’athlétisme, on vénère les sprinters, ces machines de guerre qui dictent leur loi en moins de dix secondes chrono. Une belle bande d’éjaculateurs précoces qui carburent à l’esbroufe. Par contre, on n’a que peu d’égards pour ces vrais partisans du bel effort que sont les décathloniens. Des mecs qui ne brillent véritablement dans aucune des dix disciplines (en tout cas pas assez pour aller titiller les spécialistes), mais dont la prestation prise dans son ensemble est d’une telle exigence qu’elle mériterait un peu plus d’éloges. Et si à peu près tout le monde dans le rap jeu américain se rêve en Usain Bolt, un Childish Gambino s’amuse comme un petit fou dans son rôle de décathlonien désabusé. En effet, quand il ne revêt pas son costume de emcee, le bogoss de L.A. joue les scénaristes dans 30 Rock, donne dans le stand up ou apparaît dans des séries US de qualité – Community qu’il vient de quitter, ou l’improbable boyfriend républicain de Lena Dunham dans Girls. Un vrai 4x4 de l’entertainment comme on n’en fait pas assez.
Malgré un premier album Camp souvent démonté par la critique, Donald Glover s’est construit une fan base très solide – il faut dire que ses premières compositions ne manquaient pas d’arguments à faire valoir, même si les ressemblances avec Lil Wayne étaient souvent un peu trop évidentes. Aujourd’hui, c’est tout auréolé d’une monstre crédibilité que l’Américain nous pond un deuxième disque dont le seul titre donne envie d’y jeter une oreille très attentive. Première constatation: c’est long. Une petite vingtaine de titres pour une heure de son – ce qui semble être un défaut récurrent des grosses sorties hip hop, incapables de faire le tri entre titres essentiels et remplissage. Après, ce n’est pas parce que c’est long, que ce n’est pas bon. Et sur Because The Internet, il y a de quoi y trouver son compte pour peu qu’on aime ce hip hop de gentils garçons qui ne prennent pas les femmes pour des biatches juste bonnes à leur sucer les boules et leur servir du Cristal. Un rap qui fait clairement les yeux doux à Drake et à l’omnipotente communauté hipster, un disque plein de sensibilité, en forme de psychothérapie, et agrémenté d’invités dont les seuls noms renvoient à des images de coolitude ou des brochures promotionnelles pour Urban Outfiters – le rookie Chance The Rapper, le crooner Miguel, l’exaspérante Azealia Banks, le bassite Thundercat ou le Suédois Ludovin, producteur du disque de HAIM. Y’a même Macklemore, présent sur l’un des tous meilleurs titres du disque, « Earth, The Oldest Computer (Last Night) »
En somme, Because The Internet est un disque qui va avant tout parler à ces gens qui n’écoutent du rap que parce qu’on en parle sur Pitchfork ou Stereogum,. Ce deuxième disque de Childish Gambino, c’est le genre d’objet auquel on a presque envie d’associer le qualificatif ‘pop’ avant de parler de hip hop. Un objet taillé sur mesure pour son époque. Pourtant, ce n’est pas un mauvais disque. Loin de là. On y trouve même un bon paquet de titres assez impeccables, sur lesquels s’exprime un artiste amateur de storytelling, qui a vraiment envie de prouver qu’il s’est donné les moyens de ses ambitions. Le pari est risqué, mais régulièrement réussi, même si l’essai aurait été réellement transformé si Because The Internet avait été raboté d’un bon quart d’heure. Mais voilà, on sait le décathlonien généreux dans l’effort. Et si les sprinteurs du rap game US n’ont pas trop de soucis à se faire à l’heure actuelle, si Childish Gambino venait un jour à prendre quelque peu ses distances par rapports aux courants dominants de son époque, on pourrait bien trouver en lui un grand artiste. Et un concurrent redoutable.