Beauty Behind the Madness
The Weeknd
Il a quand même été difficile de plonger agréablement dans Beauty Behind The Madness. Bien que la pochette porte le spectre de Jean-Michel Basquiat, on se sentait plutôt devant un prime de Secret Story, et malgré la trique qu’ont pu nous foutre « The Hills », « Often » et même le radiographié « Can’t Feel My Face », se taper plus de trois titres à l’enfilade s’est instantanément avéré pénible. Plus que dans les plaques précédentes, l’attitude et les gémissements de The Weeknd se sont établis dans une constance irritante. Les fins de phrases sont toujours scandées de la même manière, cherchant continuellement à singer Michael Jackson. Parfois le clin d’œil est réussi, quand il peut d’autre part produire l’horrible titre « In The Night » dont même un luna park ostendais ne voudrait pas. Puis, si les textes enchaînent les prétentions sexo-crades, la production ne suit pas. Elle reste bien trop propre. Sombre et lunaire, certes. Mais tout voudrait — tout appelle — à ce qu’elle bave, qu’elle dégouline, qu’elle crache et se meurt. N’en ressort qu’un fluide continu de basses et de caisses claires dont la platitude carrée ne saute jamais.
Toutefois, se prononcer aussi rapidement aurait été faire preuve d’un cruel manque d’attention envers un artiste qui avait mérité un temps notre confiance. On a donc décidé d’arrêter de faire la bégueule pour remettre le bousin. Dès l’ouverture, « Real Life » plaque le ton : solennel, lourd et hiératique. « Losers » poursuit en croonant, avant que « Tell Your Friends » n’entame par à-coups la production soupirante de Kanye West, dont la nonchalance offre une parfaite couche au roulement verbal d’Abel Tesfaye. Les trois titres suffisent alors à nous réconcilier.
Évidemment, The Weeknd a arrêté de prendre des risques, mais au lieu de se satisfaire à le dénoncer, il faut reconnaître que ce virage pop donne une meilleure accessibilité au R&B qu’il défend depuis The Noise, comme il continue également à le nourrir, puisque le canadien n’a pas totalement retiré ses savates marginales. La manière de concevoir son art peut ainsi le rapprocher du « roi de la pop », plus que les tics expressifs dont il se joue sur « Dark Times » en les mélangeant à ses typiques étirements de voyelles. Avant lui, Michael Jackson est parvenu à synthétiser les genres les plus légitimes de la musique noire, pour les confondre ensuite avec tout ce qui pouvait encore se rajouter au mélange. En se plaçant dans son sillage, The Weeknd a réussi à conjoindre modernité clandestine et criarde pop d'imbéciles. Son talent consiste précisément dans cet album à rester sur le fil — laisser dans l'indécision. Une dualité que l’on retrouve dans les chœurs de « Shameless » qui rappellent tant la ritournelle guimauve de Lumineers, que les échos métalliques des cris présents sur certains classiques traditionnels soul.
Les sons tombent, tapent et griffent ; le jouissif côtoie le dégueulasse. Toute la plaque ne cesse de proposer des élans de passion pour constamment se saboter en retombant dans la crasse musicale la plus vaseuse. Les humeurs se suivent, alternant toujours. C’est d’abord avec une certaine déception que l’on découvre les noms d’Ed Sheeran et de Lana Del Rey qui se voient en réalité littéralement sublimés. Le premier trouve enfin la sensualité qu’il cherche tant, quand la seconde devient plus sombre, balafrée, plus crédible, avant que la prod’ ne lui enlève la force qu’elle venait de revêtir. Défaut dont « Angel » est le meilleur exemple en s’ouvrant comme le plus mauvais morceaux d’une fin de soirée années 80, lorsque la piste pue la bière et que la pisse boit la terre. En définitive, une note que l’on ne saurait pousser plus haut, mais, Abel, prends ça comme un coup de fouet façon Grey. On t’aime au fond.