Be Up A Hello
Squarepusher
A quoi ça ressemble, une oreille de 1997 ? On a beau dire qu’on se rappelle – pour ceux qui y étaient –, ça reste assez difficile à imaginer. Qu’est-ce qui « sonnait » nouveau à l’époque ? Qu’est-ce qui sonnait rude ou énervé ? Ce qui reste dans les faits aujourd’hui, c’est qu’il y a 23 ans, un petit nouveau débarque sur une scène électronique en pleine expansion. Il s’appelle Thomas Jenkinson, et il va devenir une légende sous le nom de Squarepusher.
En 2020, Jenkinson est toujours présent et vient de sortir son seizième album, Be Up A Hello. Avec le passif du bonhomme et la densité d’une fanbase toujours aussi exigeante, pas simple d’essayer de jauger son dernier disque sans tomber dans les deux entonnoirs qui jalonnent une telle écoute : une déception voilant la nostalgie des débuts, et une réjouissance qui cacherait l’ignorance des ceux et celles qui auraient découvert le producteur anglais le mois dernier. La vraie question est donc celle-ci : la musique de Squarepusher a-t-elle changé ? Et dans les deux cas, est-ce une bonne nouvelle ?
Pour y répondre, il suffit de reprendre ses disques des débuts pour que cela saute aux yeux : même si une certaine conception du rythme se maintient à travers les disques et les morceaux, la musique de Thomas Jenkinson a énormément évolué en vingt ans. Et ce qui surprendra un peu son monde, c’est la trajectoire qu’elle a prise. D’habitude, avec l’âge, on se met à la randonnée, on écoute du jazz sur vinyle et on boit du pinard pour en sentir le goût. Autrement dit, on se range et on se calme. Avec ses derniers disques, Squarepusher n’a fait que quitter la partie instrumentale et acoustique de sa musique pour se concentrer sur une sonorité plus distordue, plus inquiétante, et plus énervée.
Depuis le début de sa carrière, on parle d’une drill and bass qui se traduirait plutôt en un drill and jazz dans le cas qui nous intéresse. Mais clairement, la façon qu’il a de pratiquer cette musique depuis quelques années est assez différente de celle qui était à l’oeuvre dans Hard Normal Daddy, ni même dans Go Plastic. La rapidité du batteur de free jazz est devenue celle du poseur de dubstep et de breakcore, et l’atmosphère d’une cave où s’expérimente l’électronique anglaise a parfois pris des allures d’une grosse teuf en haute montagne. C’était particulièrement le cas depuis 2012 et un Ubafulum qui avait un peu changé la donne.
Dans Be Up A Hello, les choses sont plus complexes encore. Le son est toujours aussi acide et incisif, à l’image des derniers projet d’Aphex Twin, et certains titres comme « Neverlevers » ou « Vortrack » sont plus inspirés par les musiques électroniques radicales que par ce jazz qui a animé toute une partie de sa discographie. On pense à cette caisse claire symptomatique du breakcore et de la drum’n’bass, ou aux synthétiseurs de basse qui semblent tout droit sortir d’un track de drumstep d’il y a dix ans. Mais ce serait faux de dire que Squarepusher est devenu un projet dansant, et que a braindance est définitivement derrière lui. Le type ne s’est juste pas assagi une seconde, comme il le fait bien sentir sur « Speedcrank » ou « Mekrev Bass ». Ça tape très sévèrement, et ses 45 balais n’y changeront rien. Et cette atmosphère sombre d’une teuf qui tourne mal, c’est aussi ce qui permet à la lumière de bien se voir sur le disque, et notamment dans ses deux premiers morceaux. Il faut dire que « Oberlove » et « Hitsonu » est un hommage magnifique à ses premiers fans, leur montrant sa capacité à travailler sur le même modèle qu’à la fin des 90’s, et même plus subtilement encore, notamment dans la richesse d’une mélodie qui va taper plus loin encore en arrière, puisqu’elle est un très beau pastiche des thèmes de Bach.
C’est en prenant ses plus gros fans par la main que Squarepusher va les emmener dans l’univers (très) retravaillé de ses dernières aventures sonores, les baladant de terrains connus en obscurités ambient, saupoudrant parcimonieusement sa musique de ce jazz’n’drill si caractéristique pour le vriller assez pour toucher du doigt la nouveauté, mais jamais assez pour choquer son cercle d’adorateurs. Alors à celles et ceux qui connaissent Squarepusher par coeur, vous serez probablement aussi peu déçus que contentés ; mais à ceux et celles qui ne connaissent pas le bonhomme, c’est peut-être le meilleur disque pour rentrer dans son œuvre, et comprendre comment une bonne partie de la musique électronique expé s’est construite depuis sa naissance.