Battle for the Sun

Placebo

Pias – 2009
par Splinter, le 17 juin 2009
8

Il est toujours pour le moins décevant, pour ne pas dire particulièrement pénible et agaçant, de lire dans la presse que tel artiste ou tel groupe renie une oeuvre précédente que l’on avait appréciée, voire carrément adorée en son temps. Cela signifie-t-il que l’on avait alors tort de l’aimer ? Ou même que, finalement, on aurait mauvais goût ?  N’est-ce pas plutôt prendre des gens pour des imbéciles, sous couvert d’un mea culpa hypocrite, afin de tenter de vanter les mérites d’un nouveau disque tout en étant à court d’arguments ? Ici, à Goûte Mes Disques, on opterait plutôt pour la seconde solution. Et, du coup, on était bien tentés d’accueillir avec suspicion le nouvel album de Placebo, compte tenu des déclarations de l'ineffable Brian Molko à l'égard de Meds, le précédent opus du groupe, bien sympathique et marqué notamment par deux duos très réussis (l’un avec Alisson Mosshart de The Kills, l’autre avec l’immense Michael Stipe de REM).

Jugé trop sombre, désespéré et sous influences toxiques, Meds, qui tentait pourtant de marquer une rupture dans l'histoire du groupe, est en effet aujourd'hui descendu en flammes par son propre auteur, qui, à rebours, tresse des louanges à ce Battle for the Sun, soi-disant l’album du renouveau, de la lumière, pour un groupe qui n’a pourtant jamais vraiment brillé par son côté chaleureux, bien au contraire. On se souvient d’ailleurs que le chef-d’oeuvre de Molko & co, Without You I’m Nothing, sorti en 1998, faisait montre d’une particulière noirceur et mélancolie post-coïtale. Alors, un album radieux pour Placebo, on n’y croyait pas franchement (quant à l'hypothèse d'un Molko clean, la bonne blague). D’ailleurs, les premiers extraits de l’album, sortis en avant-première, à savoir «Battle for the Sun» et «For What It’s Worth», sont loin d'être des titres lumineux ou joyeux : toutes guitares dehors, légers artifices synthétiques, voix nasillarde, on est en terrain connu. Impossible même de détecter, à leur écoute, que le groupe a recruté, en remplacement de Steve Hewitt, un nouveau batteur, Steve Forrest, un jeunot censé apporter un vent de fraîcheur au groupe, ni que Placebo est redevenu un groupe indie et autoproduit, signé en Europe sur le label Pias, après une grosse dizaine d’années chez Virgin.

Visiblement, l’auteur de «Bruise Pristine» n’en finit plus de tenter de faire renaître le groupe qui lui a apporté gloire et succès et de raviver la flamme auprès d'un public qui a pu passer à autre chose. Il est loin le temps ou le groupe faisait presque l’unanimité, des Inrocks à Télérama, où David Bowie s’affichait sur scène avec le «Nancy Boy», où les poses de travelo faisaient se pâmer les nanas. Placebo a vieilli, son public aussi, la chevelure de Brian Molko est désormais filasse et sans densité, à l’image des textes, à des années-lumière de l’ambiguïté et de la profondeur d’antan, en témoignent le morceau d’ouverture, «Kitty Litter», qui sonne comme une déclaration d’amour carrément fadasse, ou encore «Happy You’re Gone», plat et sans intérêt.

Cela étant, les fans ne devraient pas bouder ce Battle for the Sun sans lui avoir préalablement donné sa chance, sans avoir jeté au moins une oreille à cette poignée de titres oscillant entre le correct et le franchement très bon, voire l'excellent, dans le genre rock à guitares qui n'oublie pas les fulgurances pop. Emmené en particulier par l'assez enthousiasmante «Ashtray Heart» (clin d'oeil au nom du premier groupe de Molko et du bassiste Stephan Olsdal), au refrain entêtant et qui ne pèche que par ses passages débilos en espagnol, l'album aligne quatre titres d'ouverture en forme de sans faute («Kitty Litter», «Battle for the Sun» et «For What It’s Worth» réussissant une excellente entrée en matière). Puis, il sait rester efficace, rêche et mélodique à la fois, assez pour susciter l’intérêt et pour le maintenir sur toute la longueur, grâce notamment à quelques innovations comme la présente de cordes («Battle for the Sun»), de cuivres («For What It’s Worth») ou de rythmiques dansantes («Julien») et, effectivement, à la toute fin, un titre assez pop et lumineux,  «Kings of Medicine», qui tendent à montrer une certaine volonté d'évoluer, mais qui ne font pas perdre de vue qu'une chèvre avec un bonnet vert reste une chèvre (merci Noël Mamère).

Bien évidemment, Placebo restera toujours Placebo, il faut en convenir, et ne pas croire les déclarations du chanteur, sans, au demeurant, que cela ne soit nécessairement dirimant. Ce ne sont pas les changements de batteur (déjà le troisième) ou de label qui modifieront la donne. Les amateurs apprécieront, et ils auront raison, au vu des qualités de ce sixième album studio qui n'a rien de déshonorant, bien au contraire, souvent très efficace et inspiré, au même titre que Meds encore aujourd'hui, tandis que les autres passeront sans doute leur chemin, sans remords ni regrets.

Le goût des autres :
5 Popop 4 Nicolas 4 Julien Gas