Ballin Like I'm Kobe
G Herbo
Au tout début de l'année 2014, la mixtape Welcome to Fazoland de Lil Herb aka G Herbo dévoile la réalité hardcore des quartiers sud de Chicago : les gangs, les règlements de comptes et les adolescents tombés sous les balles. Issu de la même scène que les Chief Keef, King Louie et consorts, Herbo innove en insufflant un classicisme tout new-yorkais: il privilégie les descriptions ultra-réalistes et l'expression de ses sentiments profonds à la répétition de gimmicks qui primait jusqu'ici chez les rappeurs du coin. Ce style lui permet de capter une audience nationale, de s'attirer les faveurs de la presse musicale et d'être coopté par les habituels vampires de l'industrie du hip-hop (Nicki Minaj et Common, entre autres).
En cette rentrée 2015, après le sympathique mais inégal Pistol P Project, G Herbo donne enfin une suite digne de ce nom à Fazoland : la mixtape Ballin' Like I'm Kobe. G Herbo c'est Mobb Deep projeté dans le contexte hyper-violent du Chicago des années 2010. On ne bouge plus la tête sur du Marley Marl ou des vieux disques de funk mais sur les instrumentations chargées en infrabasses et en synthés morbides de Lex Luger et Waka Flocka. Au-delà de ça, l'environnement est le même que celui de Queensbridge vingt ans auparavant : une jungle urbaine où règne la loi du plus fort, où les bandes rivales s'entretuent et où les jeunes Afro-américains tombent comme des mouches.
Une mortalité juvénile qui est au centre du rap du jeune MC : Fazoland et PPP étaient tous deux dédiés à des homies décédés. Ballin Like I'm Kobe n'échappe pas à la règle : le titre rend hommage à Jakoby Herron, un de ses potes tué en 2013. C'est la stèle de ce dernier qui orne d'ailleurs la pochette du projet.
Toujours pas de délires de nouveau riche ou de comptines R'n'B, Herbo ne parle que de ce qu'il connaît : la vie en temps de guerre dans le quartier de South Shore, un coin tellement craignos qu'il est surnommé Terror Town par les habitants de la métropole américaine. Dès la galette lancée, nous revoilà plongée dans la psyché perturbée d'un gamin qui en a trop vu : "By 13 I'm in the books and playin' basketball / By 16 I'm cool with crooks and lettin' rachets off'". Sur l'intro, "L's", seules les voix soulful en arrière-plan permettent de supporter la dureté de ce que l'on entend. Herbo utilise ses talents de storyteller pour relater son ascension éclair dans la criminalité, ses embrouilles avec le paternel ("Pops was cool but I was everything that I wasn't supposed to be") ou la nuit où son pote Kobe a perdu la vie ("Kobe they don't know me and you was on the block/ Up tweakin' all night right before they hit you").
Pourtant, si le décor est le même, le rappeur a pris de la bouteille. On connaissait cette dextérité et ce débit nerveux qui faisaient ressembler son flow à un train lancé à pleine vitesse. BLIK le voit franchir un palier en terme d'interprétation. Sa voix, déjà particulièrement grave pour son jeune âge (tout juste 20 ans au compteur), s'est encore éraillée. Et Herbo utilise les fêlures de ses cordes vocales pour dépeindre les failles de sa conscience tourmentée. Ainsi, sur "Bottom of the bottom", sans doute LE grand moment du projet, le MC semble complètement possédé. Trois minutes et trente secondes durant lesquelles le chicagoan déchaîne les enfers. Son aboiement n'est plus qu'un râle d'agonie et ses vantardises sur le prix de sa montre ou des diamants autour de son cou sonnent davantage comme les cris d'un homme en détresse que comme l'expression d'un quelconque coquetterie. Et nous, de ressortir complètement hébétés d'une telle explosion de violence et de technique.
Le rappeur n'en délaisse pas pour autant sa qualité première : son incroyable talent de narrateur. Dès Fazoland, Lil Herb a été comparé aux plus grandes plumes du street rap : Big L, The Lox ou DMX. Sur "100 days, 100 nights", l'autre morceau phare du projet, c'est un jeune Scarface que l'on a l'impression d'entendre. Comme la légende de Houston, Herbo sait traiter avec justesse les séquelles psychologiques d'un quotidien dominé par la criminalité et la violence. A la production, Southside range ses kits de 808s taillés pour les clubs pour nous pondre une ambiance étonnamment intimiste. Seules quelques voix évanescentes viennent habiller le débit du rappeur. On n'est pas loin du cloud rap de Clams Casino. C'est beau à en chialer, touchant, sans être misérabiliste.
Sur BLIK, comme sur Fazoland d'ailleurs, il semble qu'Herbo n'ait pas grand chose d'autre que de l'aigreur et de la rancoeur à nous offrir. Les pistes défilent et voient le MC bouffer le micro avec la même hargne : "Bricks and mansions" n'est qu'une longue suite de réflexions amères sur le succès et l'argent. Le mélancolique "Don't worry", avec son compère Lil Bibby, nous rappelle que Lil Herb n'est pas la seule belle promesse venue de la Cité du Vent. Même les parenthèses plus chill de "Remember" et "Pain" ne parviennent pas vraiment à nous détendre tant le gamin y rappe les tripes à l'air. Quand il tente de faire dans le banger et de communiquer du fun, il sonne juste comme un mec qui a envie de défoncer la terre entière après trois verres de Jack Daniel's. C'est le cas sur le single "Rollin", présent dans les bonus, et encore plus sur l'excellent "Watch me ball".
Vous l'aurez compris le projet est dense. Un atout qui est aussi l'une des limites de la tape : malgré toutes ses qualités, le chicagoan n'a pas la palette vocale la plus variée du game. Du coup, 60 minutes à écouter un adolescent au bout du rouleau vous gueuler dans les oreilles le nombre de potes qu'il a perdus et à quel point il en veut à la terre entière, ça peut sembler un peu long. Mais cela n’enlève rien à la consistance d’un projet mis au point par un MC appliqué, sérieux et complètement habité par son art.
En bref, BLIK s’impose comme un must-have de cette rentrée rap 2015, dans l’attente d’un premier album officiel du jeune rappeur. Sa récente signature avec le label indépendant Cinematic Music Group (Big K.R.I.T, Joey Bada$$) laisse espérer qui ses histoires sordides sur le quotidien à Terror Town franchiront les limites de la ville et les gouffres d'internet pour rejoindre des places plus ensoleillées. Même si on doute que le mot "soleil" fasse un jour partie du vocabulaire de G Herbo.