Badlands
Dirty Beaches
Dirty Beaches est un nom pour le moins évocateur, pour ne pas dire dans l'air du temps. Mais si, imaginez Eva Joly tout de blanc vêtue, avec ses lunettes ridicules, ramassant les boulettes de fuel sur les plages sales de Bretagne, pendant que Nicolas Hulot inspecte la coque d'un bateau récemment échoué. Non ? Imaginez alors une plage dans un pays du tiers-monde, où les immondices tentent de faire barrage aux vagues.
Dirty Beaches (avouez que le nom est chouette), c'est Alex Zhang Hungtai, un Taïwanais émigré au Canada. Le gars est féru de cinéma zarbi et de musique timbrée - on parie sur Suicide et The Cramps.
Inspectons l'objet. On a trop souvent tendance à oublier qu'il fut un temps, pas si éloigné que cela, où la pochette était sensée remplir un double objectif : attirer le badaud et illustrer l'esprit de l'oeuvre. La pochette est ici à la fois sale et propre, floue et limpide, mystérieuse aussi. Quant à la musique, il s'agit d'un chant à la rockabilly, très typé, pour les nostalgiques des années 50, sur des nappes dignes des meilleures BOF de David Lynch, avec des élucubrations hallucinatoires en prime.
Punk, noise, rockabilly, musique de film... voilà bien un cocktail surprenant. Le titre d'ouverture, l'entêtant "Speedway King", pose le décor : le chant essaie de se frayer un chemin (ou d'appeler à l'aide) dans un brouhaha industriel angoissant, tout en ritournelle(s). Les titres défilent et pas besoin de régler l'équalisateur, le son est cradingue et c'est voulu. Tom Waits apprécierait sûrement.
Paradoxalement, ce qui donne une touche assez singulière à ce disque, c'est aussi l'élement que l'on apprécie le moins : ce son distordu, saturé, tel un crachat qui s'étire lentement, conférant un cachet "archive oubliée écornée par le temps". En somme, pour ceux qui n'ont pas saisi, le son n'est pas bon. Au début, on apprécie l'audace. A la fin, on râle sur le processus, pour le coup très agaçant. Dommage, à la limite parfois du gâchis. N'aurait-on pu imaginer une option remastérisée de facto ?
Blague à part, devant des titres aussi excellents que "Horses", "A Hundred Highways" ou la ballade "True Blue", on en veut Alex Zhang Hungtai d'avoir ainsi salopé l'audio. Car les amateurs de gros son gonflé à coups de matos sophistiqué en seront pour leurs frais, et risquent de péter un cable (ou ledit matos) si c'est le premier disque écouté…
Il serait néanmoins injuste de finir cette chronique sur cette fausse note. Reconnaissons au bonhomme d'avoir fait avancer l'art pour l'art, et de nourrir la production musicale d'une oeuvre que d'autres disciplines qualifieraient de moderne ou d'abstraite. What was the definition of Punk?