Au Paradis
Thousand
L’itinéraire que trace Stéphane Milochevitch, alias Thousand, depuis une dizaine d’années n’en finit pas de nous réjouir. Après deux albums de folk chantés en anglais (rien d’étonnant pour un garçon qui a grandi au Texas vous me direz) puis un Tunnel végétal pop, foisonnant et assez séduisant, le chanteur poursuit sa route avec Au Paradis, une invitation aux voyages qui déroute et captive.
Attention, autant être clair, pas question du moindre exotisme ici. Nous sommes face à un album consistant, uniforme et qui va jouer sur plusieurs tableaux pour à la fois nous embarquer et nous perdre. Nous embarquer avec cette voix grave et ce phrasé qui nous renvoient au rock français du début des 80’s (Bashung, Coutin, Capdevielle) et qui donnent aux paroles une sorte de fluidité très anglo-saxonne. Nous embarquer avec ces rythmes de guitares, de percussion, de synthés presque programmatiques et qui évoquent des paysages qui défilent. Nous embarquer enfin avec des évocations de lieu assez précises (un train Paris-Bari, la Ligne Bleue des Vosges, la Moselle, Oradour, etc.) qui inscrivent les chansons dans une géographie connue.
Mais tout l’intérêt de l’album réside dans sa volonté de jouer avec nos repères. Musicalement, la plupart des morceaux restent de facture classique, mention spéciale à Bryce Dessner (The National) qui a écrit et arrangé toutes les cordes. Toutefois, Thousand se permet quelques sorties de route maîtrisées, par exemple avec l’apparition d’un synthé kitsch et d’une voix féminine autotunée au milieu d’une rengaine rock à la guitare dans "Jeune Femme à l’Ibis". C’est donc surtout au niveau des textes que l’on peut être décontenancé. On sent d’ailleurs le chanteur prendre un malicieux plaisir à enchaîner références théologiques (et elles sont nombreuses), vocable primaire et punchlines tout en ironie. Comme dans "Mon dernier voyage" où dans un même couplet le Vahalla côtoie le diable sur la plage, messe rime avec sms et couilles avec boule et surtout où "tant qu'il y a du réseau, il y a de l'espoir".
Alors oui ce mélange permanent de registres donne à l’album une certaine fragilité mais fait au final sa force. C’est précisément dans ces ruptures de ton au sein de composition musicales homogènes que l’auditeur prend du plaisir. Et si tout n’est pas toujours limpide, l'enchaînement des titres (qui évoquent tous plus ou moins les mêmes thèmes) permet de ressentir ce que le chanteur a voulu exprimer.
Et pour résumer ce propos, on voulait absolument éviter l’insupportable « ce n'est pas la destination qui compte mais le voyage » alors on se contera de citer le refrain de la chanson qui donne son nom à l’album : "La vie est un paradis, un paradis qu’on gravit, un paradis qui m’a ravi". Tout est dit. Thousand inscrit son œuvre dans le mouvement car c’est sans doute la seule façon de jouir du présent. Nous n’avons pas affaire à quelqu’un qui (se) cherche mais simplement qui sillonne. Et ce sillon abreuve nos envies d’ailleurs.