Atychiphobia: The Higher High

Gracy Hopkins

Le Sofa – 2017
par Ruben, le 7 mars 2017
8

« Maintenant ouvre les yeux, les oreilles et l’esprit
Ce qui va suivre n’est pas un souvenir, ce qui va suivre est un avis,
Une pensée. »

[Pensée #1] : Scopophobie, la peur d'attirer l'attention sur soi

Gracy Anthony a grandi dans la banlieue parisienne, à Torcy dans le 77 pour être précis. La flamme du double H s’embrase à l'adolescence lorsqu’il découvre les discographies de 50 Cent, Tupac et Busta Rhymes ; des personnages excentriques qu’il commence inévitablement à envier et à vouloir imiter. Des années plus tard, en 2015, son affection pour le rap ne s’est pas amenuisée d’un brin. Poussé par son frangin, le gamin de Torcy prend son courage à deux mains et balance sa première mixtape The Conquest of Grayson Yard sous son nouveau blaze Gracy Hopkins - Hopkins en référence à l’acteur Anthony Hopkins mais également au compositeur du même nom. Son projet lui permettra de rencontrer puis de se lier d’amitié avec le rappeur/producteur/incubateur de talents parisiens Eazy Dew, qui travaille déjà avec des gars comme Josman, Tortoz, A2H ou encore les LTF. Hopkins s’installe alors à L'Arrière-Boutique, un studio d’enregistrement du Vème arrondissement, et commence à travailler sur son deuxième projet, un EP intitulé Atychiphobia: The Higher High.

[Pensée #2] : Atychiphobie, la peur exagérée de l'échec

A-t-on précisé que Gracy Hopkins rappe 95% de ses couplets en anglais ? Pour un francophone, la prise de risque est conséquente. Mais à notre grande surprise, son accent est impeccable et, si on y rajoute ce nom de scène à la consonance franchement américaine, on pourrait aisément se tromper sur les origines du rappeur de Torcy. De plus, contrairement à un Desiigner qui ressemble plus à Future que Future lui-même, Gracy ne se contente pas d’imiter ses camarades ricains. Il apporte des sonorités nouvelles et les met en avant via des changements d’atmosphère fréquents, et des beat changes bien sentis. L’exemple le plus parlant est « Hypnophobia: Morpheus » qui enfile trois ambiances diamétralement opposées : le titre commence par un gros coup de pression qui rappelle le « Freestyle 4 » de Kanye West, monte ensuite en puissance jusqu’à se muer en une piste digne de Travi$ Scott pour finalement être interrompu par la douce et hypnotisante Malia Lynn qui transforme le final en une balade R&B bien mielleuse.

Ce principe étant appliqué aux six autres titres, le disque bénéficie d’une architecture complexe qui se rapproche des discographies de Mick Jenckins ou de Vince Staples – la piste « Nyctophobia: Quiproquo » trace d'ailleurs un fort parallèle avec le single « Señorita ». Mais Gracy Hopkins peut être rassuré : niveau productions, l’ensemble est une franche réussite et efface les craintes sous-entendues par le titre de l’EP.

[Pensée #3] : Xénophobie, la peur irraisonnée et maladive de ce qui est étranger

« Leur vérité est inadmissible/On est dans la zone où la valeur de nos vies a le même prix qu'un missile/Autrement dit, tu vas canner/À part si t'es vif, tu peux tailler/Ou bien si t'es flic, on a pas fait tout ça pour s'contenter du SMIC ». Non, il ne fait aucun doute que les textes de Gracy Hopkins sont inspirés par le phénomène « Black Lives Matter ». Le clip de « Nyctophobia: Quiproquo », dans lequel un gardien de la paix se retrouve lui-même menotté après avoir injustement ouvert le feu, appuie également cet attachement au mouvement qui expose les violences policières. Calqué sur les idéologies prônées par Kendrick Lamar (« Alright ») et J.Cole (4 Your Eyez Only), Gracy Hopkins cherche donc à propager un message d’unité sociale tout en alertant sur les origines obscures d’une xénophobie grandissante, injustifiée à ses yeux.

[Pensée #4] : Cénophobie, la peur des choses nouvelles

Et finalement, si on compile les trois pensées développées précédemment, on ne peut que se réjouir de l’émergence d'un projet comme Atychiphobia: The Higher High. À l'image de ce que Woodie Smalls avait timidement tenté de faire du côté belge de la force, l'EP de Gracy Hopkins constitue un véritable pari sur l’avenir du rap made in France - un rap américain francisé, plutôt que l'inverse.