Átta

Sigur Rós

KRUNK – 2023
par Antoine G, le 19 juin 2023
6

On ne l'espérait plus. Dix ans sans album, sept ans sans nouvelle musique, si ce n'est des fonds de tiroir (de beaux fonds, mais ce n'est pas la question). Sigur Rós a mis les nerfs de ses fans à rude épreuve. Des sessions d'enregistrement qui ne vont nulle part, une multiplication d'albums solo du chanteur Jónsi, un batteur évincé après des accusations de viol : tout semblait indiquer un groupe en fin de parcours. Jusqu'à ce teasing en 2022 : une photo indiquant le retour du claviériste Kjartan Sveinsson, et surtout prise pendant un enregistrement dans le studio d'Abbey Road. Les doutes subsistent : après tout, le départ de Sveinsson avait enfin forcé le groupe à explorer autre chose. Son retour signifie-t-il un retour en arrière ? La réponse arrive un an plus tard, alors que le trio islandais publie un single, rapidement suivi d'une sortie d'album surprise.

On le dit de suite : mieux vaut ne pas avoir d'attentes démesurées à son écoute. On peut bien sûr commencer par l'évidence : c'est, comme toujours, très beau. La dimension orchestrale du groupe, ici avec le London Contemporary Orchestra, est poussée encore plus loin que d'habitude, donnant un aspect néo classique à l'ensemble. Le travail de production est harmonieux, mêlant magnifiquement la voix de fausset de Jónsi avec les cordes. Bref, on y retrouve tout le sens du grandiose de Sigur Rós. Peut-être un peu trop justement. S'il faut reconnaître que même Valtari ne poussait pas aussi loin l'épure, on se retrouve tout de même en terrain très familier, avec l'abandon des recherches plus intenses abordées dans Kveikur.

Le titre même de l'album, signifiant "huit" en islandais, semble même indiquer que le groupe n'a rien d'autre à raconter que son propre retour. Certes, la thématique affichée est celle de l'écologie, la recherche de paix et de beauté dans un monde qui brûle. Soyons clairs : tout ceci fonctionne. On est bien face à une œuvre méditative, dégageant une grande lumière, et assez poignante par moment. Le problème n'est pas là. Le problème, c'est que passé les premiers morceaux, on s'ennuie.

La faute à une approche trop monodimensionnelle : dans un disque qui dure tout de même 56 minutes, rien ne vient apporter de réel contraste. Ne pas mettre de batterie ou presque est un choix courageux (et logique après l'éviction du batteur), mais rien ne vient apporter de dynamique nouvelle. On se retrouve vite à confondre les morceaux entre eux, ne laissant qu'un sentiment de flou. Tout est trop lisse, et passé le très beau « Blóðberg », rien n'accroche, même si rien n'est déplaisant. Arrivé à des titres comme « Gold » ou « Ylur », l'attention s'est déjà détournée du disque, et le final de 9 minutes ne sonne que comme une resucée de succès passés. On se retrouve avec un bon disque de fond sonore, là où le groupe, quoi qu'on en dise, avait habitué à une certaine audace sonore sur chaque album. Au final, si l'idée était d'exprimer sa propre résilience et celle de la planète, on a l'impression qu'eux-mêmes n'y croient qu'à moitié. Trop fatigués, peut-être. Et c'est sûrement un signe de notre époque qui voudrait rêver, sans trop y arriver.

Le goût des autres :