At The Turn of Equilibrium

Petar Dundov

Music Man Records – 2016
par Simon, le 15 juin 2016
8

Difficile d’imaginer en 2016 un producteur électronique qui ne se définisse pas, au moins en partie, par sa caste. Qu’on parle de son appartenance à une scène plus ou moins locale, à un genre plus ou moins codifié, aux personnes avec qui il a l’habitude de jouer en club en passant par son label ou sa nationalité, tout est bon pour identifier à la va-vite les uns et les autres. Un peu comme dans World of Warcraft, avant de commencer à jouer et que tu dois choisir entre être un elfe voleur ou un nain chasseur.

Si on parle de cette tendance qui vire parfois à la schizophrénie (certains voyant leur carrière se dessiner selon les choix effectués sur cette grille, qu’ils soient bons ou mauvais), c’est qu’il est quasiment impossible d’imaginer aujourd’hui un producteur faisant cavalier seul, au moins parmi ceux qui cartonnent - un peu comme ces prisonniers en taule qui ne respectent aucune règle, qui ne s’affilient à aucun gang pour assurer leur survie et qui doivent leur position dominante dans la meute uniquement à la force de leurs sorties.

Petar Dundov, c’est ce loup solitaire qui voyage seul avec tout son paquetage sur le dos. Peu importe que les modes musicales se suivent, que les écoles de pensées se succèdent, le Croate trace sa voie tranquillement, il est son propre univers dans lequel il s’épanouit sans prêter attention à ce qui peut se passer autour de lui. Petar Dundov fait du Petar Dundov, à chaque fois un peu plus.

Depuis Escapements en 2008, le producteur travaille son art de manière agglomérée et cohérente, si bien qu’on est aujourd’hui capable de l’identifier sur une ou deux mesure seulement, sur trois touches de clavier. Le travail est tellement marqué qu’il est difficile d’entrevoir ce At The Turn of Equilibrium comme autre chose qu’une suite dans la trilogie commencée avec Ideas From The Pond. Tout comme ce disque-balise (suivi du très bon Sailing Off The Grid), At The Turn of Equilibrium travaille lentement, et très longuement, une musique électronique d’éther. Ni house, ni techno, ni ambient ni kosmiche music. Un peu de tout ça, en même temps, pour un produit final inédit.

Certains nous diront, et ils auront peut-être un peu raison, que Petar Dundov fait les mêmes disques depuis quatre ans, que les thèmes ne varient pas d’un iota et que l’esthétique semble ne jamais se renouveler. Ils oublieront probablement de dire que, si l’œuvre du Croate est à ce point intégrée verticalement, elle n’en demeure pas moins exceptionnelle, bien souvent au-delà de la majorité de ce que vous pourrez entendre en matière d’électronique mélodique. Ses claviers sont bien trop beaux, ses dynamiques rythmiques (ou non) sont trop pures et le raffinement général est bien trop au-dessus de la mêlée, si bien qu’on se dit que Petar Dundov touche à quelque chose de véritablement supérieur au moment de mettre ses idées en musique.

Reproche-t-on à des grands architectes d’être cohérents dans leurs lignes, aux créateurs de haute couture de suivre des convictions en termes de coupes ou de choix des textiles ? On a juste droit ici à une musique électronique haut de gamme, une fois de plus, qui refuse de courber l’échine parce qu’il serait plus judicieux commercialement de faire ceci ou cela. Petar s’en fout, il est sa propre mesure, son propre standard. Rien à part lui ne semble pouvoir l’orienter dans une autre direction, il est à la fois la voile et le vent. Et ça pue la classe.