ASTROWORLD
Travis Scott
Travis Scott est le chef de file de cette nouvelle génération de MC qui sont immenses avant même d’avoir sorti d’immenses disques. On pointe ici du doigt tout le paradoxe du rap de 2018: avec quelques bons singles, un gros penchant pour la mode et une instagrameuse au bras, on décroche sans vraiment forcer son talent son ticket pour la célébrité.
Et de fait, Travis Scott n’a guère impressionné avec Rodeo ou Birds In The Trap Sing McKnight, qui avait relevé la barre sans pour autant être le disque définitif qu'on nous promettait. Avec ce ASTROWORLD teasé depuis plus de deux ans, le natif de Houston se retrouve au pied du mur: il lui faut sortir le disque référence qui couronnera sa jeune carrière et solidifiera sa position de trendsetter pour les années à venir. La pression est étouffante, pourtant le moment semble propice puisque la concurrence est moins coriace que prévue: le EVERYTHING IS LOVE des Carters est vide d’intérêt, le K.O.D. de J. Cole rapidement lassant, le Ye de Kanye West trop cathartique et le Scorpion de Drake carrément soporifique.
On ne va pas tortiller du cul pour chier droit: ASTROWORLD est un des disques de rap les plus aboutis de ces dernières années. Dès les premières notes, La Flame déploie le genre d'intensité qui envoyait le EVOL de Future dans la stratosphère. Musicalement, on va bien au-delà des spectres monotones du mumble rap, et la construction très originale des pistes combinée à une atmosphère futuriste propulse l’art de Travis Scott loin devant la concurrence. Dans ce grand parc d'attractions qui ne manque pas de références au son de son Houston natal, chaque piste ouvre les portes d'un nouvel univers, et travaille sur des émotions pures habilement nuancées par l’impeccable gestion des invités - il faut des couilles de papa pour réussir à faire quelque chose de bien avec Kid Cudi, Stevie Wonder et James Blake sur une même piste. En parallèle, des sons comme « R.I.P. SCREW », « SKELETONS » ou « ASTROTHUNDER » - des pseudo-interludes psychés qui s’intercalent sans gêne entre deux bangers - révèlent une prise de risque fort appréciable pour le blockbuster que doit être ASTROWORLD.
Et même si ce troisième album montre des signes d'essoufflement dans son dernier tiers, Travis Scott surnage sans donner l'impression de forcer son talent. C'est bien simple, niveau créativité, on retrouve souvent sur ASTROWORLD l'artiste survolté de "Lights (Love Sick)" qui avait tapé dans l'œil de T.I. qui allait sortir l'incroyable tape Own Pharaoh sur son label Grand Hustle. À défaut de rentrer dans le cœur des apprentis thugs comme le meilleur album rap de la décennie, ASTROWORLD restera un des disques importants de 2018 et; un vrai bon cru que l’on a surtout hâte de découvrir en live puisque son interprète excelle dans ce domaine.