Armchair Apocrypha
Andrew Bird
Voilà un disque qui risque d’en déconcerter plus d’un – aussi bien les fans d’Andrew Bird que ceux qui découvriraient pour la première fois le jeune prodige au violon et à la guitare qui le démangent (Yves Duteil, si tu nous lis, passe ton chemin). Pour le plus grand nombre, c’est au détour du fantastique The Mysterious Production Of Eggs que l’Américain s’est révélé, quelques mois seulement après la sortie du non moins essentiel Weather Systems. Raffiné volatile, féru de liberté mais point trop volage, le chanteur a dû subir à longueur d’articles toutes les comparaisons aériennes et plumées possibles et imaginables (pour y avoir amplement participé, je fais ici mon mea culpa), et encore plus lorsqu’il s’est accouplé le temps d’un joli gazouillis en duo avec notre hirondelle française, la bien nommée Emily Loizeau.
Je disais donc, voici un disque qui risque d’en déconcerter plus d’un. Car qu’est-ce donc que ce curieux album au nom pour le moins étrange : Armchair Apocrypha ? L'apocryphe du fauteuil ? Je veux bien croire que la quête de l’authenticité soit l’arlésienne d’Andrew Bird, lui qui remet sans cesse en cause et en mouvement sa musique au fil du temps, mais il faut bien avouer que ce titre semble pour le moins incongru. Quant à la musique, c’est encore une autre paire de manches… Contraste suprême, deux choses frappent à la première écoute : l’aridité et la sobriété du son d’une part, l’accroche et les mélodies presque pop de certains morceaux d’autre part. Comme si le génial violoniste avait voulu tenter le grand écart entre ses aspirations de songwriter classique et ses velléités de bidouilleur. Pari réussi ? C’est à voir…
En fait, la quintessence de ce septième album (le troisième sans son ancien groupe, Bowl Of Fire) n’est autre que la scène. Tous les morceaux de Armchair Apocrypha sont en effet nés sur scène et ont évolué, soir après soir, au fil des centaines de concerts donnés par Bird depuis la sortie de The Mysterious Production Of Eggs - en solo ou en compagnie du batteur / multi-intrumentiste Martin Dosh (omniprésent sur ce nouvel album). Pour ceux qui n’ont jamais croisé les deux compères sur scène, le choc risque donc d’être rude. Adieu veaux, vaches, cochons, nappes de violons et minutieux arrangements. Ne restent que les désormais célèbres sifflements de l’oiseau, quelques notes de xylophones et de synthés, la batterie de Dosh et cette guitare électrique omniprésente du début à la fin.
Ceci dit, même pour les inconditionnels du bonhomme, la surprise est grande. Si la trilogie des Fingerlings (albums regroupants des extraits de concerts et des chutes de studio, distribués en catimini lors des concerts ou sur le site officiel) offrait un aspect plus dépouillé de l’œuvre d’Andrew Bird, on était loin de se douter que ce nouveau disque serait, en schématisant un peu, un enregistrement live – sans public et avec juste quelques bidouillages supplémentaires (quelques notes de batterie ici, une voix féminine là). Pour avoir entendu la plupart de ces nouvelles compositions lors de deux concerts donnés l’an passé (l’un à Bruges, l’autre à Paris), force est de constater que l’impact du passage en studio est minimal.
Et alors, me direz-vous… Est-ce si grave ? Eh bien, non. Je l’ai cru un instant, le regard (et l’oreille) sans doute trop plongé dans le rétroviseur de The Mysterious Production Of Eggs. Comme je l’écrivais en conclusion de ma précédente chronique, Andrew Bird est un artiste qui ne peut rester en place. Comment expliquer autrement ce parcours musical exceptionnel, parti du violon classique, passé par la musique de cabaret puis à la pop, au folk et enfin (presque) au rock ? J’attendais un copié-collé habile, du surplace et finalement, en un battement d’aile, l’artiste était déjà ailleurs. Et si l’auditeur a de quoi être désorienté au début, son oreille finit par s’habituer et découvre de nouveaux méandres musicaux, entre la simplicité pop de "Fiery Crash", la rythmique puissante de "Plasticities", les aspérités et les contrepieds de "Armchairs", l’exercice de style de "Simple X" (un morceau de Dosh réinventé) ou la bucolique histoire de "Scythian Empire". Et au milieu de tout ça, "Imitosis", le plus beau titre de l’album, le plus ancien aussi puisqu’il s’agit d’une enième mue musicale du titre "I" d’abord apparu sur Weather Systems, puis ensuite recréé sur scène sous le nom de "Capital I" avant de finir ici sa métamorphose.
Donc oui, le pari est parfaitement réussi. L’écrin est moins précieux, l’approche plus rugueuse, l’apprivoisement plus long, mais l’inspiration, les mélodies et les émotions sont toujours là, en embuscade. Bien malin qui saura dire où se trouvera Andrew Bird dans six mois, un an, deux ans. Qu’importe, l’ornithologue éclairé que je suis devenu se fera un plaisir de le pister…