Apocalypse
Bill Callahan
Cycliquement, les albums de Bill Callahan reviennent fleurir sur les platines vinyles, baladeurs CD (on ne sait jamais?) et autres lecteurs modernes. Ils reviennent comme les jonquilles, les fraises et le rhume des foins au printemps. On sait déjà qu'on va écouter le nouveau venu en boucle, potentiellement pleurnicher dessus, et parfois passer quelques heures à essayer de comprendre la signification profonde de phrases de premier abord beaucoup trop simples pour êtres vraies. Que ce soit en solo ou sous le nom de Smog, il y a quelque chose de rassurant dans une nouvelle sortie de Callahan. C'est peut-être sa voix grave et quelque peu solenelle qui donne l'impression que chaque morceau est une vision prophétique du futur. Un album de Bill Callahan, c'est l'équivalent en musique de cette personne qui parle "peu mais bien". Il y a une intensité extrême dans tout ce qu'il touche, de la phrase la plus banale à celle qui contient une sagesse incroyable, du plus bête accord de guitare aux arrangements les plus recherchés.
Apocalypse ne déroge pas à la règle. C'est un album assez court (7 morceaux), très intense, qui a pour ambition, comme l'explique la petite note explicative sur le site de son label Drag City, de réfléchir sur les évènements de ces 100 dernières années aux États-Unis. Plutôt ambitieux. La phrase d'ouverture, chantée a cappela, "the real people went away", plante le décor. Apocalypse (un titre particulièrement bien vu) est baigné dans une impression de spontanéité, voire de légère maladresse, qui donne la sensation d'assister à une grande improvisation. Mais Callahan reprend toujours les rênes et ses petites digressions comme "Free's" ont une fonction bien étudiée. Ici, sublimer des morceaux comme "Riding for the Feeling" ou "One Fine Morning". Pour esquisser son histoire des États-Unis, comment ne pas laisser apparaître un soupçon de liberté, de perte de contrôle ? Comment ne pas digrésser ? Pour ce pays si difficile à cerner, à comprendre, parfois même à apprécier, il fallait un ton libre, à la limite de l'insolence. "Drover" contient même une petite dose d'agressivité, avec ses percussions lointaines, mais au fur et à mesure que l'Apocalypse de Callahan se dévoile, le ton se pose et se clarifie. Malgré sa voix lente et posée, malgré sa musique d'apparence nostalgique, le regard de l'artiste ici n'est ni dur, ni triste, ni mélancolique. C'est plutôt une chevauchée, une longue ballade. Pas besoin de juger ou de porter le coup de grâce à une société chancelante, le regard du musicien est observateur, c'est un regard de recul. Il ne sait pas mieux que nous, et pourtant, il réussi à exprimer ce qui ne sait que traîner dans les consciences collectives. C'est un album clairvoyant, fait pour marquer les esprits, un jour. Apocalypse pose une réflexion sur le matérialisme, la société de consommation, la musique folk, l'Amérique, de Thoreau à David Letterman. Callahan devient le héros d'un nouveau Walden, tentant de se couper du monde, pas pour écrire un pamphlet mais bien pour nous délivrer ce bel album quelque peu cryptique, qui n'a pas fini de se dévoiler. C'est l'album d'un pays, d'une époque. La pièce centrale de l'album, "America!" est une apostrophe directe à ses origines, longue digression en forme d'énumération : "air force", "Afghanistan", "Irak", "Bible"... Tout y passe jusqu'à faire passer l'histoire des États-Unis pour une série de fils décousus. Cette trance de six minutes donne à l'album tout son équilibre et l'aide à trouver un point d'appui.
Callahan revient aux sonorités de Woke on a Whaleheart, s'éloignant de la production de son album précédent, le décevant Sometimes I Wish We Were an Eagle. Le chemin parcouru depuis les premiers albums de Smog est plutôt exemplaire, de la pop lo-fi à une folk intelligente, belle et pure. Ici, l'album semble composé et enregistré en petit comité, une agréable sensation d'intime s'en dégage. Il confirme le statut de personnage unique et d'électron libre dans le paysage musical américain du musicien. L'air de rien, Callahan est en train de construire une carrière exemplaire, d'album en album, posant chaque fois une nouvelle pierre à son édifice folk. Les années 60 avaient les revendications de Dylan, les années 2000 ont le charme indolent et les avertissements occultes de Callahan.