Ants From Up There
Black Country, New Road
Black Country, New Road a été totalement éclipsé par sa propre hype. À peine sorti de l’adolescence et en deux singles à peine, le groupe anglais a été considéré comme la plus importante création de l’humanité depuis le Picon bière. Comment vivre à la hauteur de sa propre mythologie quand vient le virage serré du deuxième album ? Comment gérer une image de premier de la classe et le genre de pression pouvant flanquer des ulcères ? D'abord, en avouant que les compositions issues de ton premier album universellement acclamé te font maintenant royalement tartir et ne représentent plus l’ADN du collectif. Ensuite, en améliorant ta formule gagnante à base de post-rock, de post-punk et de jazz klezmer.
Sur Ants From Up There, le tempo est ralenti pour magnifier l’impact émotionnel des ballades contemplatives. Fort heureusement, la maxime "plus c’est long, plus c’est bon" colle parfaitement au projet. C’est beau à en chialer et ça va foutre en l’air votre santé mentale. Mais c’est également le chant du cygne d’Isaac Wood, qui a annoncé son départ quelques jours seulement avant la sortie du disque. La capacité de Black Country, New Road à pouvoir rebondir après la perte de leur talentueux et (étrangement) charismatique chanteur, guitariste et parolier est un tout autre débat. Ce qui est indéniable, c’est la volonté du groupe de reprendre le contrôle de son histoire et de prouver qu’il est bien plus qu’un ersatz de Slint et la somme pataude de ses influences. Quitte à laisser les personnes réclamant des itérations infinies de "Sunglasses" dans la panade.
Autant vous mettre au parfum d'entrée de jeu : le potentiel pop du groupe ne demande qu’à vous exploser au visage. "Chaos Space Marine" et "Good Will Hunting" sont deux morceaux lorgnant du côté d’Arcade Fire, si ces derniers possédaient évidemment la moindre once de talent. Cette volonté d’élaborer la mélodie comme pièce centrale de l’édifice apporte une nouvelle force à l’ensemble. Isaac Wood se montre vulnérable, cette fois-ci sans aucune trace d’ironie - le type laisse même tomber son spoken word habituel pour chanter! Son aptitude narrative pour conjurer des métaphores, des remarques anodines criantes de vérité, des punchlines absurdes mais poétiques, est sans pareil dans le paysage musical actuel. Empruntons les mots du groupe : "It’s strong because it’s got fragility". Les instrumentaux sont de toute manière sublimes sans le coup de pouce de Wood, comme en atteste "Mark’s Theme", interlude dédiée à l’oncle de Lewis Evans, emporté par le COVID-19 l’année dernière.
Ants From Up There est un disque qui impressionne par l'alchimie qui unit ses membres. Les longues sessions semi-improvisées sont ici monnaie courante et réussissent à se classer parmi les titres les plus épiques jamais composés par BC,NR. S/o également aux gourmets ayant poncé sans retenue les versions live de "Basketball Shoes" sur YouTube. L’attente valait le coup puisqu’on a enfin droit au magnum opus de BC,NR sur disque. Purification cathartique, bande son d’apocalypse, euphorie de 12 minutes : sélectionnez l’orgasme de votre choix. Le batteur Charlie Wayne est en démonstration totale et rien que pour entendre du kazoo qui part en couille, le ticket d’entrée est justifié. Mais on le voit aussi de façon assez évidente : BC,NR s’emmerde assez rapidement. Autrement dit, ses membres sont dans la recherche permanente du twist narratif qui garde l'ennui au large. N'écoutez pas les mauvais coucheurs (y compris au sein de notre équipe) qui vous diront que le groupe est devenu sur Ants From Up There une sorte de Bright Eyes du pauvre : une fois encore, il va envoyer la concurrence dans les fraises et nous faire comprendre avec ses armes que c’est bien en Angleterre que les lignes du cool se dessinent.